Dans l’univers académique, il est devenu apparent que l’on peut acheter des médailles d’or, comme un simple matériel de laboratoire, auprès de personnages indélicats. C’est la révélation qu’a faite une équipe de la branche d’Abou Dhabi de l’université de New York, dans un preprint en cours de validation par une revue, cité par Nature en août. Ils ont fait appel à une entreprise qui ne vend pas les « médailles » précisément, mais un stimulant capable de les acquérir : les citations. Les citations sont des références aux auteurs et à leurs écrits qui ont été utilisés pour sa propre recherche. Elles sont mentionnées en bibliographie. En retour, on espère que sa propre écriture sera citée par d’autres, consolidant ainsi sa renommée.
Le nombre de citations est devenu un critère essentiel dans l’évaluation des chercheurs, des publications ou des institutions de recherche, malgré l’avalanche de critiques. Les « ruses » pour embelliir son CV se sont multipliées : s’autociter, demander à des collègues de citer ses travaux en référence, fragmenter un projet en plusieurs articles qui se citent mutuellement…
Le fait de rencontrer des cas suspects d’altération nous a poussés à approfondir nos recherches sur la façon dont certains individus amassent des citations, admet Yasir Zaki, chercheur et enseignant à Abou Dhabi. Grâce à une dépense de 300 dollars (270 euros), son groupe a rapidement obtenu 50 citations au profit d’un chercheur fictif de l’université inventée, spécialement mis en place pour l’expérimentation. Ce dernier avait rédigé vingt œuvres artificielles sur les fake news avec le logiciel ChatGPT. Ces cinquante citations supplémentaires provenaient uniquement de cinq essais, dont quatre ont été publiés dans une publication de chimie, probablement infiltrée par la société pour faciliter la publication des articles. Les chercheurs suggèrent également que ce stratagème a pu être utilisé pour améliorer les records d’autres clients. « C’est choquant de constater comment les indicateurs peuvent être manipulés », souligne Talal Rahwan, un autre professeur à Abou Dhabi. « Nous l’avions pressenti, maintenant nous en avons la certitude », affirme Cyril Labbé, professeur d’informatique à l’université Grenoble-Alpes, qui a également créé un profil et des articles fictifs pour augmenter son nombre de citations en 2010.
Les chercheurs de l’université de New York ont dépassé cette expérience dans leur preprint. D’abord, ils ont découvert après une enquête auprès de 574 scientifiques des dix plus grandes universités du monde que 60% de ceux-ci évaluent des candidats sur la base des citations. Le même pourcentage utilise Google Scholar plutôt que ses concurrents tels que Web of Science ou Scopus pour cette évaluation. Cependant, ces derniers se basent sur une collection d’environ vingt mille journaux, bien plus limitée que celle de Google Scholar, qui inclut également des sites de preprints, de réseaux sociaux spécialisés (ResearchGate, Academia…) ou des plates-formes collaboratives (Open Science Framework ou OSF, Authorea…). C’est dans ces dernières que résident les vulnérabilités.
Il reste encore 36.18% de cet article à consulter. Seuls les abonnés peuvent accéder à la suite.