Quand les parents de Salwa (le nom a été changé) lui ont révélé qu’elle devait se marier au début de 2023, elle venait tout juste de célébrer son treizième anniversaire. Initialement, l’adolescente était ravie à l’idée des cadeaux qu’elle allait recevoir. « Je croyais qu’on me donnerait du maquillage, des habits et des bijoux » révèle-t-elle, pendant une discussion vidéo, tout en berçant son nouveau-né. « Je ne savais pas que le mariage signifie que je serais avec un homme plus vieux. Mes parents ont dû faire ce choix par nécessité après avoir perdu leur terre à cause des inondations. » Salwa n’est pas le seul cas au sein de l’adolescence féminine à Khan Mohammad Mallah, au Pakistan, d’un mariage arrangé par les parents suite aux inondations dévastatrices de 2022. Dans ce petit village de la province du Sind, Mashooque Birhmani, le fondateur de l’ONG Sujag Sansar, qui collabore avec les communautés locales pour combattre les mariages d’enfants, a compté 45 unions de jeunes filles, dont un tiers a eu lieu en mai et en juin 2024, juste avant la saison des moussons.
Essentielles pour les millions d’agriculteurs pakistanais et pour la sécurité alimentaire du pays, les moussons sont, ces dernières années, devenues plus longues et plus intenses, causant d’interminables inondations et la ruine des terres agricoles. Ces désastres naturels et économiques, amplifiés par le changement climatique, ont donné naissance à une nouvelle tendance dénommée « les épouses de moussons ». Gulsher Panhwer, directeur de projet chez Sujag Sansar, indique une montée en flèche des mariages forcés lors des inondations les plus dévastatrices de l’histoire du Pakistan, en 2007, 2010 et 2022.
Selon une enquête effectuée par deux chercheurs pakistanais, le mariage des jeunes filles de 15 à 19 ans a augmenté de 10,7 % à 16 % après les inondations de 2010. Environ 4,8 millions d’individus ont été affectés uniquement dans la province du Sindh, la moitié étant des enfants. Par ailleurs, dans cette même région, près d’un quart des filles ont été victimes de mariages précoces avant 18 ans. Gulsher Panhwer explique que, sans aucun revenu, les paysans se retrouvent dans une telle détresse qu’ils marient leurs filles pour un montant équivalent au coût d’une vache, parfois même moins. Ces hommes désespérés voient dans ces unions une façon de lutter contre la pauvreté, tout en espérant recueillir assez d’argent pour subvenir aux besoins de leur famille restante.
En 2022, le Pakistan a été victime d’inondations catastrophiques qui ont englouti un tiers de son territoire. Ces inondations ont été particulièrement dévastatrices puisque le Pakistan est le cinquième pays le plus peuplé de la planète. De plus, de grandes quantités de récoltes, qui constituent un quart du PIB du pays et fournissent du travail à une personne sur trois, ont été détruites. Les effets ont été particulièrement sévères dans la région agricole du Sindh, où nombreux villages n’ont pas réussi à se relever de ce désastre. Ces catastrophes ont provoqué un flux massif de migrations, comme l’explique Aiza, une mère de deux enfants de 29 ans. En 2010, la vie qu’elle connaissait sur ses terres natales a été interrompue par les moussons, forçant sa famille à déménager dans une autre province pour survivre. Malheureusement, même après ce déplacement, la famille a du mal à subvenir à ses besoins, ce qui a conduit au mariage précipité de la plus jeune fille, Deeba. Contre 150 000 roupies pakistanaises, soit à peu près 480 euros, Deeba, à peine âgée de 12 ans, a été mariée à un homme de 25 ans. Aiza se rappelle avec tristesse comment Deeba était excitée par sa nouvelle tenue et ses bracelets, mais aussi comment elle s’est effondrée en larmes lorsqu’il a fallu la laisser chez son mari. Aiza, qui avait elle-même été mariée à 16 ans, regrette beaucoup ce choix.