Marguerite Duras a un jour atteint le point de saturation de la solitude. C’était la distance qu’elle avait délibérément établie entre elle et le monde qui l’entoure pour se consacrer à la tâche de recréer sa vie via ses romans. « Je me suis rendu compte que j’étais seule dans mon processus d’écriture, isolée de tout. Cela a duré une dizaine d’années, je ne me souviens plus exactement combien de temps » (Ecrire, Gallimard, 1993). Après sa séparation avec Gérard Jarlot, un journaliste et romancier en 1963, il y a eu des amants occasionnels, et des grandes tablées de dînées dans sa résidence à Neauphle-le-Château, dans les Yvelines, surtout les week-ends. Mais Marguerite, derrière sa machine à écrire, commençait à être lasse de n’avoir que la mare aux canards et le jardin pour la distraire. Ou sa bouteille.
« Elle disait toujours qu’elle désirait faire du cinéma pour pouvoir rencontrer des gens », remarque à juste titre Caroline Champetier, une réalisatrice et directrice de la photographie qui a travaillé avec Duras à plusieurs reprises. Cependant, la véritable motivation de Duras était différente : l’idée de perdre la maîtrise de son œuvre et de voir quelqu’un d’autre s’approprier son monde imaginaire était intolérable pour elle. Comme elle l’a dit dans Marguerite Duras, un livre publié par l’éditeur d’art milanais Mazzotta en 1992 et coédité avec la Cinémathèque française : « Les films qu’ils faisaient à partir de mes romans étaient pour moi insupportables (…). La trahison la plus odieuse a été celle d’Un barrage contre le Pacifique de René Clément. (…) Je n’ai jamais pu surmonter cet affront. Donc j’ai décidé de faire du cinéma. C’est tout. »
Dans le monde du cinéma, elle a fait sa première entrée en 1958, ce qui lui a permis d’acquérir sa maison rurale. Cependant, elle a commencé à développer une aversion croissante pour cette importante production italo-américaine, mettant en vedette Anthony Perkins et Silvana Mangano. Malgré son dégoût, « Un barrage contre le Pacifique » attirera plus de 2 millions de téléspectateurs en France et 5 millions en Italie. Dans L’Express, l’auteure s’interroge sur si le réalisateur avait vraiment saisi l’essence du roman. Par contre, elle ne perd jamais son sens commercial. Huit ans après sa publication, Gallimard republie le livre sur sa demande, avec la bande du film.
Elle a répété la même action avec « Le marin de Gibraltar », un roman de 1952 adapté par le cinéaste britannique Tony Richardson, en 1967. Malheureusement, malgré les apparances de Jeanne Moreau, Vanessa Redgrave et Orson Welles (que Duras trouvait désagréable), le film n’a pas trouvé son public. C’était la dernière fois que l’écrivaine vendait les droits de son livre pour une adaptation cinématographique qu’elle n’avait pas écrite ou réalisée. Toutefois, en 1992, il y a eu une exception notable : « L’Amant », de Jean-Jacques Annaud.
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