En dépit de l’oppression et des menaces d’incarcération, les communautés touchées par le projet Eacop (East African Crude Oil Pipeline), un gigantesque plan d’extraction pétrolière de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie, persistent à critiquer les modalités de leur déplacement. À Tanga, ville tanzanienne d’où sera transporté, via un pipeline chauffé de 1 443 km, le pétrole brut extrait des rives du lac Albert en Ouganda, une centaine d’individus, affectés par le tracé du pipeline et la construction du terminal de stockage, ont protesté le jeudi 29 août pour exiger des indemnisations plus équitables et l’abandon du projet.
Ils ont mis en lumière les promesses non respectées, telles que l’attribution de rations alimentaires et d’argent pour compenser la saisie de leurs terres et la disparition de leurs cultures. Parmi eux se trouvent aussi des pêcheurs. « Certains n’ont pas encore obtenu la moindre compensation alors que le projet les prive d’une partie de leur territoire de pêche et que le bruit dérange la faune aquatique », détaille Richard Senkondo, le directeur exécutif de l’association écologique OCE (Organisation for Community Engagement), membre de la coalition globale StopEacop. Une jetée offshore de 2 km, terminée par une plateforme de chargement, devra permettre aux navires-citernes de collecter le pétrole destiné à l’exportation.
Il y a quelques jours, des manifestations similaires ont eu lieu à Hoima, le hub principal du projet d’exploitation à l’ouest de l’Ouganda et à Kampala. Près de 300 individus se sont rendus lundi à Hoima dans le but de présenter une lettre de griefs aux représentants d’Eacop, mais leur tentative a été contrecarrée par la police. Dans la capitale près de 21 personnes, dont des défenseurs des droits de l’homme et des militants climatiques qui demandent une transition équitable vers les énergies renouvelables, ont été arrêtées et détenues dans l’attente de leur comparution devant un juge alors qu’elles se dirigeaient vers le Parlement et l’ambassade de Chine.
Plus de 100 000 personnes sont concernées par cette situation. La société d’État chinoise Cnooc (China National Offshore Oil Corporation) est partenaire à 28% avec TotalEnergies dans une entreprise commune créée avec la société nationale ougandaise (15%) pour exploiter les champs pétroliers de Tilenga et de Kingfisher. Cnooc détient également une participation minoritaire de 8% dans Eacop, aux côtés des sociétés nationales ougandaise et tanzanienne.
TotalEnergies a déclaré à Le Monde qu’elle avait lancé une enquête sur les récentes arrestations en Ouganda. Cette déclaration fait suite aux commentaires de son PDG, Patrick Pouyanné, qui devant une commission d’enquête sénatoriale sur les obligations de l’entreprise, le 29 avril, a affirmé que son équipe avait pour mission d’intervenir directement auprès des autorités lorsque des individus étaient emprisonnés. Ces interventions visent à solliciter un traitement bienveillant et une libération rapide des personnes concernées.
En 2024, TotalEnergies a chargé Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et banquier, d’évaluer le programme d’achat de terres en Ouganda et en Tanzanie. Le rapport de Zinsou, prévu pour parution en avril, est toujours en attente. Plus de 100 000 personnes des deux pays sont concernées par ce programme. TotalEnergies soutient que 98% d’entre elles ont été indemnisées. Néanmoins, la manière dont leur consentement a été obtenu et le montant des indemnisations versées suscitent toujours un certain nombre de critiques.
Au lieu de promouvoir l’apaisement, le gouvernement ougandais redouble d’efforts pour faire taire les voix dissidentes. Sacha Feierabeud de la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) note que « alors que la limite des droits civiques affecte tout le pays, elle prend un caractère particulier quand il s’agit du sujet du pétrole ». L’organisation a documenté depuis six ans les actes violents et les intimidations à l’encontre des communautés et des activistes contre le projet. Au début du mois de juin, Stefen Kwikiriza a été kidnappé par des militaires en civil et détenu pendant une semaine dans un lieu secret où il a été interrogé et battu avant d’être libéré au bord d’une route.
Selon M. Feierabeud, ces agissements peuvent être considérés comme des « disparitions forcées » et des « traitements inhumains » selon le droit international. M. Kwikiriza travaille bénévolement pour une association locale aidant les personnes affectées par le site de production Kingfisher exploité par la société Cnooc. A la frontière avec la République Démocratique du Congo (RDC), une région troublée par de nombreux groupes armés, l’accès à cet endroit est très militarisé et compliqué.
Quant au projet controversé de TotalEnergies, le financement n’est pas encore finalisé. L’investissement est estimé à 10 milliards de dollars (9 milliards d’euros), dont 60 % doit être financé par des prêts bancaires. Jusqu’à présent, l’appel au boycott lancé par la campagne StopEacop a conduit 24 grandes banques à se retirer.
Au cours d’une conférence de presse qui s’est tenue à Kampala le mercredi 21 août, Ruth Nankabirwa, la ministre de l’énergie d’Ouganda, a suggéré que « neuf banques européennes » pourraient collaborer avec China Export Import (Exim) et China Export and Credit Insurance Corporation (Sinosure) pour finaliser l’opération financière. L’annonce de la décision finale concernant l’investissement, qui est en discussion depuis 2022, pourrait bien être faite en septembre, d’après la ministre. TotalEnergies, contacté par Le Monde, n’a pas voulu faire de commentaires.
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