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28 août 2024 0 h 12 min

« Ukraine contrôle 1300 km carrés Russie »

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Consultez tous nos articles, exercices de décodage et reportages sur le conflit en Ukraine. Nos reportages, analyses et clarifications sont réalisés par « Le Monde ». Stanislav Asseyev, un journaliste ukrainien, exprime sa peur non pas de la mort, mais de la possibilité d’être de nouveau capturé par le camp adverse, les Russes. L’Ukraine abat des ponts sur le sol russe et nous expliquons pourquoi. L’assaut des forces ukrainiennes dans le sud de la Russie s’inscrit dans une dynamique longue durée.

Des discussions secrètes sans résultats probants ont eu lieu entre Moscou et Kiev. De plus, nous relatons les derniers moments de la maternité de Pokrovsk, dans la région de Donbass, maintenant en zone libérée. Nous avons également répondu à vos interrogations les plus courantes.

Comment les forces russes et ukrainiennes utilisent-elles des drones ? La lutte des drones entre ces deux nations a pris une grande importance ces derniers mois. D’après une étude d’un think tank britanniques spécialisé en défense, sortie en mai 2023, les Ukrainiens perdent environ 10 000 drones chaque mois sur le terrain de guerre, soit plus de 300 chaque jour. En comparaison, l’armée française possède un peu plus de 3 000 drones dans son stock.

Les forces russes et ukrainiennes utilisent principalement des petites machines volantes non habitées (UAV, unmanned aerial vehicle en anglais), d’origine civile, peu onéreuses et accessibles en grande quantité. Celles-ci sont utiles pour l’observation du champ de bataille et pour guider les forces au sol ou les tirs d’artillerie. Certains drones sont aussi modifiés pour transporter de petites bombes qui sont ensuite larguées sur les tranchées ou les véhicules blindés.

Les drones kamikazes, bien qu’en nombre réduit, jouent un rôle crucial en étant équipés de charges explosives et déployés sans cible prédéfinie au-dessus de la ligne de front. La Russie emploie des drones russes Lancet-3 ainsi que des Shahed-136 iraniens. En dépit de l’absence d’une armada navale significative, l’Ukraine défit l’adversaire avec des véhicules maritimes sans pilote, de petits kayaks télécommandés et chargés d’explosifs (450 kilos de TNT).

L’importance des drones dans leurs opérations a conduit les Ukrainiens et les Russes à s’organiser pour soutenir leurs forces sur une longue période, non seulement en achetant en quantité des drones civils, mais aussi en mettant en place des capacités de production internes. L’industrie nationale ukrainienne, qui était en phase initiale lors de l’initiation de la guerre du Donbass il y a une décennie, a depuis lors progressé. À la fin d’août, le ministre de la transformation numérique ukrainien a annoncé qu’une réplique du drone russe Lancet a été créée et sera lancée sous le nom de Peroun, un dieu slave de la foudre et du tonnerre.

Contrainte par les sanctions occidentales limitant l’accès à des composants électroniques, la Russie est plus en difficulté. Cependant, selon les services de renseignement américains, Moscou aurait commencé la construction d’une usine dans la zone économique spéciale d’Alabouga pour y produire des drones kamikazes iraniens, comme les Shahed-136.

En ce qui concerne l’inventaire des missiles russes, il est très difficile, voire impossible, de connaître l’état actuel. Les services de renseignement ukrainiens fournissent régulièrement des informations, mais leur exactitude est discutée.

D’après les informations données par Andri Ioussov, le représentant du service de renseignement du Ministère de la Défense (GUR), relayées par Liga.net, l’armée russe était en possession de 2 300 missiles balistiques ou de croisière avant la guerre, et ce nombre dépassait encore les 900 au début de l’année. Selon Ioussov, à ce nombre s’ajoutent une dizaine de milliers de missiles anti-aériens S-300 avec une portée d’environ 120 kilomètres, ainsi qu’un considerable stock de missiles S-400, version mise à jour avec une portée trois fois plus grande. En août, Vadym Skibitsky, le second du GUR, signalait le nombre de 585 missiles capable de frapper à une distance supérieure à 500 kilomètres.

En ce qui concerne la production, celle-ci serait montée à environ une centaine de missiles balistiques ou de croisière par mois, comme le suggèrent plusieurs experts. Selon le GUR, cette production s’élevait à 115 missiles en octobre.

Par ailleurs, il semblerait que la Russie a acquis des missiles à courte portée de l’Iran et de la Corée du Nord, et continuerait de le faire. L’agence Reuters, citant plusieurs sources iraniennes, rapporte que 400 missiles iraniens de la catégorie Fateh-110 (300 à 700 kilomètres) ont été livrés à la Russie depuis janvier, après avoir passé un accord. Le nombre de missiles acquis de la Corée du Nord est inconnu, mais il est confirmé que 24 ont été utilisés en Ukraine entre le 30 décembre 2023 et le 7 février 2024, comme l’a révélé le procureur général, Andriy Kostin. Selon les spécialistes ayant examiné les débris et les trajectoires, il s’agirait probablement de KN-23 et de KN-24 avec une portée approximative de 400 kilomètres.

Qu’en est-il des avions de chasse F-16 ?

En répondant à une demande de longue date du président de l’Ukraine, les États-Unis ont approuvé, en août 2023, le transfert de chasseurs F-16 à l’Ukraine. Plus de 300 F-16 sont disponibles dans neuf pays européens, dont la Belgique, le Danemark, la Grèce, les Pays-Bas, et le Portugal, entre autres. Cependant, pas tous ces pays sont capables de céder ces avions immédiatement.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé que 42 F-16 avaient été promis à Kiev par les alliés occidentaux, mais cette information n’a pas été vérifiée. Le Danemark a promis d’en donner 19. Les six premiers ne seront pas livrés avant la fin de 2023, huit autres en 2024, et cinq en 2025, selon la première ministre danoise, Mette Frederiksen. Les Pays-Bas, qui ont également promis des avions, ont 42 unités à leur disposition, mais n’ont pas précisé combien ils prévoient d’en donner.

Il faut également mentionner que les pilotes ukrainiens doivent être formés pour piloter ces chasseurs américains. Onze pays alliés se sont engagés à former ces pilotes. Selon l’OTAN, les forces ukrainiennes ne seront pas prêtes à utiliser ces avions en situation de combat avant le début de 2024, tandis que d’autres experts estiment que cela se produira plutôt à l’été de cette même année.

Alors, quels sont les types de soutien militaire que les alliés apportent à Kiev ?

Deux ans après le commencement de la bataille intense, l’élan du soutien de l’Occident à la ville de Kiev semble ralentir. Comparé à l’année dernière, les assistances récemment promises ont diminué entre août 2023 et janvier 2024 comme le souligne le plus récent rapport de l’Institut Kiel publié en février 2024. Cette tendance risque de se prolonger, étant donné les difficultés rencontrées par le Sénat des États-Unis pour approbation des aides et l’obstacle rencontré par l’Union européenne (UE) lors de l’adoption d’une aide de 50 milliards d’euros le 1er février 2024, principalement en raison de l’opposition de la Hongrie. Il est à souligner que ces deux paquets d’aide n’ont pas encore été inclus dans le dernier bilan de l’Institut Kiel qui s’arrête en janvier 2024.

Les chiffres de l’institut allemand indiquent une réduction du nombre de donateurs qui se rassemblent maintenant autour d’un groupe central de pays, notamment les Etats-Unis, l’Allemagne et les pays du nord et de l’est de l’Europe. Ces pays ont promis à la fois une aide financière importante et des équipements militaires avancés. Au total, depuis février 2022, les pays soutenant Kiev se sont engagés pour au moins 276 milliards d’euros, que ce soit sur le plan militaire, financier ou humanitaire.

En valeur brute, les nations les plus fortunées ont fait preuve de plus de générosité. Les États-Unis sont de loin les premiers donateurs, avec plus de 75 milliards d’euros d’aide promis, dont 46,3 milliards dédiés à l’aide militaire. Les pays de l’Union européenne ont annoncé à la fois des aides bilatérales (64,86 milliards d’euros) et des aides collectives provenant des fonds de l’UE (93,25 milliards d’euros), soit un total de 158,1 milliards d’euros.

Dans l’évaluation des contributions des donateurs en fonction du produit intérieur brut (PIB) de chaque pays, le classement est différent. Bien que les États-Unis soit le vingtième, avec seulement 0,32 % de leur PIB dédié, ils sont dépassés par des voisins d’Ukraine et des anciennes républiques soviétiques alliées. Le leader en ce qui concerne les aides en proportion du PIB est l’Estonie qui y consacre 3,55 %, puis vient le Danemark (2,41 %) suivis de la Norvège (1,72 %). Les deux positions restantes du top 5 sont occupées par la Lituanie (1,54 %) et la Lettonie (1,15 %). Les trois pays baltes, ayant tous une frontière commune avec la Russie ou son alliée la Biélorussie, sont parmi les plus généreux donateurs depuis le début du conflit.
En termes de pourcentage du PIB, la France se situe en 27ème position, ayant engagé 0,07 % de son PIB, juste après la Grèce (0,09 %). L’aide apportée par la France a systématiquement diminué depuis le début de l’invasion ukrainienne par la Russie, passant du 24ème rang en avril 2023 au 13ème en été 2022.
Qu’en est-il des tensions actuelles à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne?

Il existe depuis quelques mois une tension notoire entre l’Ukraine et la Pologne au sujet du transit de céréales ukrainiennes. Le point de friction est né au printemps 2022 lorsque la Commission européenne a institué des « corridors de solidarité » pour faciliter l’expédition et la vente des produits agricoles ukrainiens sans taxes douanières à destination de l’Afrique et du Moyen-Orient. Toutefois, selon la Fondation Farm, une entité spécialisée dans les enjeux agricoles mondiaux, environ 50% de ces céréales entrent dans l’Union européenne (UE) ou y aboutissent. De plus, ces grains sont vendus à un prix inférieur à celui du blé produit en UE, plus spécifiquement dans les pays d’Europe centrale.

Face à ce qu’ils perçoivent comme une menace pour leur marché local et les revenus de leurs propres agriculteurs, la Pologne, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie ont décidé d’interdire unilatéralement les importations en avril 2023. Cependant, Bruxelles a accepté cet embargo uniquement si cela n’entravait pas le transit vers d’autres pays et si la mesure durait quatre mois. Alors que l’été 2023 touchait à sa fin, Varsovie a jugé que le problème sous-jacent n’avait pas été résolu et a donc décidé de maintenir sa frontière fermée aux céréales ukrainiennes. Cette décision est intervenue malgré la position de Bruxelles qui soutenait que l’embargo n’avait plus lieu d’être puisque leurs analyses indiquaient qu’aucune distorsion de marché pour les céréales n’existait plus.

Des protestations sont en cours par les agriculteurs polonais qui ont créé un blocus à la frontière polono-ukrainienne, empêchant ainsi les camions en provenance d’Ukraine d’entrer en Pologne. Leur demande est un « embargo total » sur les produits agricoles et alimentaires de l’Ukraine. Ils s’inquiètent de l’augmentation de leurs frais de production alors que leurs silos et entrepôts sont à pleine capacité et les prix sont à leur plus bas niveau. Au début de l’année 2024, le président ukrainien avait exprimé que le blocus sur la frontière polonaise est une preuve de « la diminution de la solidarité » envers l’Ukraine, et avait demandé des discussions avec la Pologne. Il a également déclaré que seule « Moscou se réjouit » de ces tensions, critiquant l’émergence de slogans favorables à Poutine.