Vous pouvez retrouver l’intégralité de la série intitulée «Marguerite Duras, l’immortelle mythologie» ici. Peu de temps avant son décès en 1996, Marguerite Duras, dans un élan de terreur, crie depuis la fenêtre de son logement situé rue Saint-Benoît à Paris, appelant son ami l’écrivain Jean Marc Turine qui venait de la voir. Il revient aussitôt. Elle clame que les Allemands vont la capturer, submergée par une peur incontrôlable. Parfois, elle imagine qu’ils l’attendront tapis dans sa cave. Lors de son séjour à l’hôpital Laennec en 1985, traitée pour un emphysème, une pathologie pulmonaire grave, elle hurle dans sa folie que les infirmières sont des soldats nazis envoyés pour l’assassiner. L’alcool fait émerger des monstres terrifiants. Ses nuits sont hantées de cauchemars.
Depuis longtemps, son travail est marqué par la présence de personnages juifs, souvent appelés Stein ou Steiner, représentant une part importante de sa diaspora. L’un des personnages de son ouvrage Détruire, dit-elle (Editions de Minuit, 1969) se nomme Stein et se présente comme juif. Un autre personnage, également juif, se nomme Max Thor. Yann Andréa Steiner (P.O.L, 1992), le livre qu’elle a écrit sur son dernier compagnon, parle d’une surveillante de 18 ans, Johanna Goldberg, d’un garçonnet aux yeux gris, Samuel Steiner, et de sa soeur Judith.
Bien que Marguerite Duras ne mentionne guère le terme « Shoah », le thème de l’holocauste est omniprésent dans son œuvre, à travers ses films et ses écrits. Ses livres décrivent l’insurmontable culpabilité de l’humanité envers la Shoah. Son personnage, Aurélia Steiner, est née dans les sombres profondeurs d’un camp de concentration, tandis que sa mère a péri dans une chambre à gaz. Dans son œuvre Flaubert (Le Monde extérieur – P.O.L., 1993), elle exprime le terrible souvenir des nazis dans les camps lorsqu’elle visite l’Allemagne : « J’entends les cris des SS dans les camps ».
Elle ajoute un autre crime à celui de la Shoah : l’oubli, la manière dont l’histoire est assimilée et mise de côté. Comme elle le souligne, les innombrables souffrances subies dans les camps de concentration ne peuvent et ne doivent pas être oubliées. « Ce crime contre les Juifs, contre sept millions d’entre eux, est incompréhensible, c’est infini », écrit-elle.
Plus tard, en 1985, Duras décline respectueusement l’invitation du Centre d’art et de culture juive à Paris en avançant ses craintes d’être interrogée sur ses personnages, souvent de confession juive. Elle explique qu’elle ne saurait répondre à ces questions et trouve cette perspective insupportable.
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