Pour réellement apprécier l’alliance entre la littérature et la géographie qu’exploitent Aurélien Bellanger et Philippe Vasset, les cartes IGN de La Pléiade sont un excellent exemple. Leurs dernières œuvres ne dressent pas seulement une carte des territoires, mais aussi des narrations qui marquent notre ère, bouleversée par l’accroissement des fake news et l’émergence des extrémismes de droite. Les Derniers Jours du Parti socialiste d’Aurélien Bellanger, par exemple, propose une satire politique qui imagine un projet secret porté par un mouvement parodiant celui du Printemps républicain. Il évoque comment une « hérésie du Parti socialiste », ainsi désignée par l’auteur, aurait consacré l’ascension du Rassemblement national. Parallèlement, Philippe Vasset plonge dans les intrications du chantage de l’époque d’Internet avec Journal intime d’un maître-chanteur. Le roman montre comment de petits subterfuges peuvent entraîner de grosses implications, alors que les personnages émergent de l’ombre pour s’infiltrer dans des structures officielles (agence de communication, service de renseignement déguisé en bureau d’intérim, direction d’un magazine).
Les deux auteurs mettent en avant le fait que les récits ne sont pas uniquement confinés aux livres ou aux écrans, ils circulent aussi en sous-main. Interview de deux romanciers qui débusquent les apprentis docteur Mabuse modernes.
Leurs nouvelles œuvres se penchent sur des groupes qui agissent dans l’ombre, voire le secret. Ce n’est pas une première pour eux. Par exemple, dans La Conjuration de Philippe Vasset (Fayard, 2013), le narrateur gère une secte ; dans Le Grand Paris d’Aurélien Bellanger (Gallimard, 2017), Machelin, l’alter-ego de Patrick Buisson dans le récit, manœuvre en coulisses. Pourquoi ce thème les intrigue-t-il ?
Aurélien Bellanger a une appréciation pour l’Histoire des treize de Balzac et les séries. Un attachement qui remonte à ses premières années de lecture. Il considère cette écriture comme un bon outil littéraire. Le contexte d’émergence de ce motif était aux alentours de 1830, avec l’épuisement de la sensibilité romantique. À cette époque, les artistes ont cessé d’être idolâtrés et ont dû adopter des postures généralement considérées inférieures, par exemple celle d’un enquêteur ou d’un journaliste. L’artiste ne s’est plus vu comme un individu indépendant et s’est vu forcé de chercher ailleurs, étant donné qu’on ne croyait plus que sa liberté puisse produire une clarté. Le roman est passé d’un lieu glorifiant l’individualité à une plateforme permettant à l’auteur de faire face à des éléments inconnus. D’où l’attrait pour les complots et les sociétés secrètes, ces derniers façonnent un réajustement de la posture romanesque. Le reste de l’article est offert uniquement aux abonnés.