Alexandre Ricard est assidu dans sa conservation d’une lettre précieuse, toujours préservée sur son ordinateur. Il la connaît si bien qu’il pourrait la réciter sans avoir besoin de la regarder. Date d’avril 2015, Alexandre ne l’oubliera jamais. À cette époque, il avait récemment été nommé PDG du groupe Pernod Ricard, juste avant de fêter son 43e anniversaire, faisant de lui le plus jeune chef d’entreprise du CAC 40.
La lettre débute par les mots « Mon très cher fils, tu peux trouver cela étrange à entendre, mais tu es celui qui m’a rendu père, bien plus que je ne t’ai rendu fils … » Plusieurs phrases soigneusement choisies sont incluses dans la lettre, Alexandre les lit avec une voix tremblante qui trahit son émotion malgré son expression impassible. « Pour citer Jules Renard [1864-1910] : “Un père a deux vies : la sienne et celle de son fils.” Je te remercie de me donner cette expérience, la fierté d’être le père de mon fils. »
Quand on explore le récit de la famille Ricard, de nombreuses anecdotes ressortent sur les figures célèbres de la famille. « Alex », comme on l’appelle affectueusement, était déjà perçu comme le futur héritier depuis son adolescence, un rôle pour lequel il s’est « auto-désigné ». Sa cousine, Myrna Giron-Ricard, se souvient de lui à l’âge de 12 ans portant un costume et une cravate pour rendre visite à son grand-père, Paul Ricard, le fondateur de l’entreprise. Étrangement, aucune mention n’est faite du rôle de son père, Bernard Ricard, qui a été mis à l’écart après seulement trois ans à la tête de l’entreprise, a pu jouer dans cette aspiration précoce.
Située dans le Var, face à Six-Fours-les-Plages, se trouve l’île enchanteuse d’Embiez. Auparavant, une acquisition de Paul Ricard, elle sert désormais de lieu de rassemblement pour une cinquantaine de membres de sa famille, tout en étant un site d’attraction pour les touristes. On peut alors suivre un chemin balayé par le mistral qui mène à une colline où sont disposés côte à côte deux stèles funéraires, celle de Paul et de son fils Patrick. Ce dernier a dirigé et a impulsionné l’entreprise Pernod Ricard pendant trois décennies, devenant ainsi le deuxième acteur le plus important mondialement dans le secteur des boissons alcoolisées, avec un chiffre d’affaires dépassant 12 milliards d’euros et employant près de 19 000 personnes. Cependant, Bernard Ricard, le père d’Alexandre, n’est pas enterré ici et on ne trouve aucune trace lui concernant, ni sur l’île, ni au quartier général du groupe à Paris. Il semble avoir été rayé de l’histoire commune comme si son récit n’avait jamais été. D’ailleurs, même Wikipedia ne lui a pas consacré de page. « Un exclu », comme le remarque un héritier de la famille Ricard. Il reste 88.27% de cet article à lire, accessible uniquement aux abonnés.