Elle faisait son entrée sur scène, les poings fermés, vêtue de noir de la tête aux pieds. Ses yeux étaient masqués par une frange dense. Ses traits exprimaient la détermination d’une guerrière, le sourire d’une amoureuse, la voix d’une activiste et les mots d’une superbe perdante, telle qu’aurait pu la décrire Leonard Cohen si elle aurait été une muse warholienne du Chelsea Hotel. Cependant, elle se tenait debout, plus comme une tumultueuse passionaria qu’une superstar éphémère. Elle était comme une panthère prête à attaquer tout ce qui pourrait blesser ou ternir la beauté. Rock. Rebelle. Radicale.
En l’observant, en l’écoutant, on se rendait compte que cette femme ne devait rien à personne, même si cela signifiait en assumer les conséquences. C’était la Ribeiro, la soeur de ceux de l’ombre, de ceux qui ont grandi face aux fumées des usines, de ces âmes blessées qui ont connu la souffrance avant le plaisir. C’était aussi la Grande Catherine, une sorte de Janis Joplin capturée par Baudelaire, une Nico emportée par Rimbaud, une Piaf électrisée par Apollinaire. Catherine Ribeiro est décédée dans la nuit du jeudi 22 août au vendredi 23 août, selon une déclaration de son entourage à l’Agence France-Presse. Elle avait 82 ans.
Dans un entretien réalisé en 1970, elle exprimait son désir d’abolir complètement la chanson traditionnelle, avec ses refrains et ses vers répétitifs, réclamant même la substitution des paroles par des onomatopées. Elle souhaitait que la voix serve de véritable instrument. Durant cette époque méconnue des moins de 40 ans, les musiques inspirées par Ribeiro et ses collègues des Alpes évoquaient la liberté, la révolte, l’amour, la poésie et la rage, déclenchant des bacchanales captivantes dans les villes et campagnes.
De 1970 à 1980, malgré leur négligence par la télévision, la radio et la presse nationale, ils ont réussi à organiser des milliers de concerts et à remplir des salles aussi renommées que l’Olympia ou Bobino. Leurs albums se sont vendus par dizaines de milliers. Pourtant, la marginalisation ne fut pas leur choix, mais leur contrainte.
D’origine modeste dans la périphérie de Lyon à Saint-Fons, la petite fille sauvage a grandi au sein d’une famille portugaise, avec un père ouvrier et proche des communistes, et une mère analphabète qui ne la comprenait pas et lui infligeait des coups. Cependant, c’est elle qui lui a transmis sa voix mélodieuse de chanteuse de fado. Comme elle le chantait dans La Vie en bref : » J’ai appris ma naissance/A travers les lignes/D’un discours anguleux/Sur l’échec de l’amour/J’ai appris mon enfance/Face aux fumées d’usine/Par les chemins de grèves/Empruntés par mon père ».
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