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« Accroché aux volets pour elle »

Mettre en place ce genre de persiennes dans une habitation de facture espagnole dans ce quartier de Los Angeles, est une incompréhension totale. Tous lui ont fait comprendre – professionnels et amis – qu’elles ne conviendraient pas, ni en termes de dimensions ni pour les fenêtres courbes et extrêmement larges. Trop fines, trop longues, trop délicates. Une fantaisie d’Européen, disaient-ils, un sourire moqueur et condescendant accroché à leurs lèvres. Ils ne prennent même plus la peine de préciser « un Français », son pays paraissant minuscule et sans importance à leurs yeux éblouis par les étoiles blanches, toujours plus gros que la réalité.

Après quatre tentatives, tous des échecs, avec deux équipes de menuisiers différentes, des sommes phénoménales englouties dans ses flammes idéalistes et entêtantes, même J., qui n’est pas le moins obstiné des obsessionnels, avait fini par lui dire, dans une hésitation pourtant nécessaire, affalé dans son canapé de cuir noir hérité de son grand-père, imposant et sauvage, n’ayant rien à voir avec le style hacienda, tout en roulant son premier joint de la journée : « Sérieusement, laisse tomber. »

Comme J. est la seule personne qu’il écoute et respecte depuis son arrivée ici, et qu’il est le seul à ressembler à un être humain dans ce territoire obscur qui tourbillonne autour de cercles infernaux en forme d’autoroute à cinq ou sept voies. Parce qu’il avait commencé à comprendre les silences embarrassés de ceux qui l’entouraient, se sentant jugé comme s’il était au tribunal des célibataires, accusé de combler son énorme fossé affectif avec cette épopée des persiennes rouges, à coups de pelletées de terreau nostalgique, il avait écouté. En partie. La pomme de discorde, partagée en deux.

Des rayons sanguins à travers les persiennes.

Il avait coupé la machine, tout le monde respirait alors plus tranquillement. Cependant, il avait opté secrètement pour garder la dernière version de ses volets. Même s’ils ne s’isolaient pas entièrement, même si le jour venait le tirer de son sommeil chaque journée. Plutôt que d’opter pour des volets sur mesure, il avait choisi d’aller se coucher plus tôt. Chaque matin, il ressentait une joie à voir les rayons solaires sanguins filtrer à travers les fentes.

Et puis, un matin inattendu, après un échange chuchoté quelque part en ville, la raison de son attachement à ces volets rouges était là, assise, vêtue d’un hoodie blanc et d’un mini-short en viscose rose, se penchant sur ses genoux tels un nœud marin parfait au milieu de ses jambes musclées. Un corps prêt pour la bataille, dont le contact rayonnait encore dans ses mains, alors qu’il somnolait dans le lit derrière elle. Chez lui, à ses pieds, à sa fenêtre, elle sirotait son café.

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