Méditez sur ce scénario : les lecteurs les plus dévoués de la littérature romanesque commencent à douter de son importance. Ils se posent des questions comme, est-ce que la littérature a finalement abandonné sa capacité d’encadrer notre monde chaotique à travers la fiction ? Notre incessante consommation d’écrans de toutes sortes a-t-elle reprogrammé nos esprits et entravé notre capacité mentale nécessaire pour la lecture des romans ? Et que dire de l’ère des séries télévisées, dont certaines rivalisent avec une qualité narrative à couper le souffle, qui a peut-être recalibré nos attentes…
Alors devrions-nous admettre une stagnation de notre imagination, de la part de l’auteur ainsi que du lecteur, et accepter que les écrits les plus intrigants de notre époque se limitent aux autobiographies, exofictions et autres enquêtes littéraires, essentiellement vers cette non-fiction de plus en plus dominante dans les librairies ?
La majorité du temps, ces interrogations ne font que résonner dans un vide qui semble confirmer nos craintes. Et puis, de temps en temps, un livre apparaît qui démolit nos doutes avec un rire retentissant de défi. « Bien-être » de Nathan Hill est l’un de ces livres. Il prouve que le roman est toujours vivant, preservant son énergie et sa force, parlant de nous tous, reflétant les vibrations de notre temps, et gardant le lecteur captivé loin de toutes sortes de distractions. C’est la leçon puissante que le deuxième ouvrage de ce romancier américain, né en 1975, nous enseigne avec audace.
Les inconditionnels de son précédent chef-d’œuvre, l’époustouflant Les Fantômes du vieux pays (publié par Gallimard en 2017), attendaient sa nouvelle œuvre depuis sept longues années. Nathan Hill, couronné à l’époque comme « meilleur nouveau romancier américain » par John Irving, affirme sans équivoque son statut de digne successeur. Il est un raconteur talentueux et généreux, usant de son don pour construire un texte volumineux – près de 700 pages – qui captive le lecteur en provoquant le rire, en émouvant profondément et en établissant des réflexions sur le monde qui l’entoure. Son œuvre couvre une variété de sujets, allant de l’amour aux algorithmes, de la polarisation politique à l’obsession de mesurer nos pas quotidiens, des panoramas américains à la pensée positive, des fake news à l’éducation.
Bien-être, son dernier chef-d’œuvre, navigue dans le temps en suivant le parcours d’un couple, Jack et Elizabeth, depuis leur coup de foudre qui ressemble à une comédie romantique à Chicago dans les années 1990, jusqu’à leur vie en 2014, en tant que parents quadragénaires d’un jeune enfant, se faisant face à des doutes sur leur vie commune- surtout Elizabeth qui se pose des questions. Le romancier explore leur passé commun, mais aussi leurs enfances isolées et tristes, chacun étant situé à des extrémités du pays et du spectre social.
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