Abdellah Taïa offre une nouvelle pièce littéraire intitulée « Le Bastion des Larmes », disponible chez Julliard pour 21 € en version papier et 14 € en version numérique. Ce roman a été sélectionné pour le Prix littéraire « Le Monde » 2024. Taïa crée des personnages vivants et graphiques qui semblent être fortement basés sur ses propres expériences. Youssef, le protagoniste de ce nouveau livre, rappelle Ahmed de « Celui qui est digne d’être aimé » (Seuil, 2018) et Mounir de « La Vie lente » (Seuil, 2019).
Chaque livre de Taïa a des thèmes récurrents tels que la grande famille, la pauvreté, l’homosexualité, l’exil et Salé, une ville au Maroc. Cependant, chaque livre apporte une nouvelle surprise. L’écrivain montre son talent à travers l’usage efficace du langage et des différentes formes de discours – lettres, confessions, interrogatoires, monologues et dialogues – pour donner vie à des histoires poignantes et intenses. « Le Bastion des Larmes » comprend tous ces éléments et offre une synthèse remarquable de son œuvre jusqu’à présent.
La ville de Salé est peut-être le personnage le plus captivant du livre. Face à la puissante Rabat, Salé est une entité vivante et terrible, à la fois misérable et magnifique. Taïa décrit Salé avec passion et intensité : « Salé la maudite. Salé la pute. Salé qui pue. Salé la prison. Salé l’enfer. Salé l’incendie permanent. Salé qui tue. Salé sans cœur….Ma Salé aimée en dépit de tout, en dépit de moi-même….Salé qui coule dans mon sang, dans ma peau, dans mes entrailles. L’âme de mon âme. »
L’histoire de la ville se révèle par fractions, tout comme l’océan vu à travers les fentes de la large enceinte qui abrite la médina. C’est ici que nous découvrons Borj Adoumoue, le « Fort des Larmes », nommé en souvenir d’un événement brutal de la chronique de la ville. En 1260, profitant de l’Aïd-el-Fitr, cérémonie marquant la conclusion du Ramadan, trente-sept bateaux castillans se glissent dans Salé, initiant la Reconquista espagnole. Pendant une quinzaine de jours, ils font un carnage parmi les résidents et enlèvent des milliers de personnes pour les asservir à Séville. Les laissés-pour-compte attendent un retour improbable. « Le futur de Salé sera désormais empreint de cette épreuve. Par cette coutume. Par cette lutte journalière avec la disparition. Un monologue perpétuel face à la mer. Les Slaouis [citoyens de Salé en arabe] déconcertés, légèrement dérangés, qui parcourent la plage, qui discutent entre eux, qui se réconfortent et se quittent. » Suite à ce tragédie, le sultan Yacoub Ben Abdelhaq commissionne l’érection d’un mur imposant et la construction d’un fort sur la plage, qu’il baptise « Fort des Larmes”.
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