« « Ilaria. Ou l’incursion dans la rébellion », écrit par Gabriella Zalapi, Zoé, 176 p., 17 €, version numérique 10 €.
Nomination pour le Prix du livre « Le Monde » 2024
Les meilleurs livres ont la capacité unique de concevoir leurs propres paysages qui demeurent en mémoire, comme l’écho d’un voyage onirique marqué par des visions et des sentiments : une exploration vécue. Le livre de Gabriella Zalapi, Ilaria, se présente comme l’un de ces contes, et nous plonge dans l’existence d’une gamine de 8 ans, kidnappée par son père au printemps 1980 pour un périple sans fin à travers l’Italie, errant en voiture d’une auberge à une autre, sans objectif précis, du nord à Turin jusqu’au sud en Sicile. C’est la voix de la petite fille qui s’exprime au présent, et l’on ignore combien de temps durera ce voyage étrange mêlant peur et curiosité, dans une atmosphère de suspense feutrée : séparée de sa mère et de sa sœur aînée par ce « papa » hanté par son divorce, Ilaria décrit avec une merveilleuse simplicité l’ambivalence des émotions et toute la complexité d’un homme dévasté, au volant de sa « BMW bleu marine, modèle 320 coupé », qui fait souvent escale dans les stations-service pour appeler son ex-épouse ou lui envoyer des télégrammes. »
Gabriella Zalapi est une écrivaine dont les œuvres précédentes, Antonia et Willibald (Zoé, 2019 et 2022), ont émerveillé les lecteurs et ont ajouté une nouvelle dimension à la lignée familiale. Son livre actuel, Ilaria, raconte l’histoire de personnages déjà connus, notamment Antonia, sa mère et Ana, sa soeur. La narratrice est née en 1972, tout comme l’auteure elle-même, insinuant que leurs mémoires pourraient se chevaucher. En parlant à Gabriella Zalapi lors d’une interview pour « Le Monde des livres », pendant qu’elle déménageait de son appartement parisien à un autre et se retirait dans son atelier d’artiste (la peinture est sa première passion), on a demandé si elle était Ilaria. Sa réponse immédiate a confirmé que c’était bien elle, et que l’histoire s’était passée quand elle avait huit ans alors qu’elle voyageait avec son père pendant près de deux ans. Bien que le livre contienne des éléments de fiction, c’est essentiellement une histoire vécue. Elle précise qu’elle a choisi de présenter l’histoire du côté positif, car raconter « sa vérité » aurait été trop insupportable.
Effectivement, malgré l’angoisse latente découlant de la présence d’un père imprévisible, l’histoire ne se limite pas à une sombre uniformité, elle peut aussi contenir des éléments de légèreté. Les émotions d’Ilaria sont pleines de contradictions. Elle est également une jeune fille pleine d’ingéniosité qui trouve de l’amusement dans différentes situations, elle aime l’art du dessin, joue à « cochon pendu » et idolâtre Nadia Comaneci. Cependant, confrontée à son père de plus en plus en colère et alcoolique, qui l’a même envoyée pendant quelques semaines dans un internat romain, l’enfant subit une terrible expérience. On s’interroge sur la façon dont l’adulte qu’elle est devenue a pu revivre ce traumatisme en l’écriture.
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