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« Dégel de la crise pétrolière Niger-Bénin »

Est-ce que Niamey et Porto-Novo sont sur le point de réconcilier après plusieurs mois de tensions diplomatiques causées par la suspension des exportations pétrolières ? Le mardi 20 août, un million de barils de pétrole brut entreposés dans les réservoirs du port béninois de Sèmè-Kpodji ont été chargés avec succès sur un supertanker, arrivé comme prévu quelques jours auparavant, pour être expédiés, selon plusieurs sources officielles du Bénin et du Niger. « C’est un premier pas vers la normalisation des relations » entre la junte nigériane au pouvoir depuis le coup d’État de juillet 2023 et le Bénin, a déclaré un membre du gouvernement à Porto-Novo.

Depuis que le Niger, un pays sans accès à la mer, est devenu un exportateur de pétrole au début de l’année 2023 grâce à l’inauguration d’un oléoduc permettant d’acheminer le pétrole brut extrait des gisements d’Agadem à l’est du pays jusqu’au Bénin pour le vendre sur les marchés internationaux, le pétrole est devenu un enjeu majeur de la querelle diplomatique entre Niamey et Porto-Novo. Même si Niamey n’a pas encore donné son accord pour le redémarrage de la production à Agadem, ni pour la réouverture de sa frontière avec le Bénin, le succès de cette seconde exportation, après celle qui avait été bloquée plusieurs semaines en mai, marque le début d’une détente.

Une médiation initiée à Niamey à la fin de juin par Thomas Boni Yayi et Nicéphore Soglo, deux anciens présidents du Bénin, a donné des fruits. Gildas Agonkan, qui a été nommé ambassadeur du Bénin au Niger il y a plus d’un an, a assumé son rôle dans la capitale le 6 août. Du 24 au 25 juillet, le président du Bénin, Patrice Talon, a repris le dialogue avec la junte. Plusieurs officiers supérieurs, accompagnés du ministre de l’Intérieur, le général Mohamed Toumba, et du directeur de cabinet de l’autoproclamé chef de l’État nigérien, Soumana Boubacar, ont été reçus à Cotonou.

La situation devient de plus en plus problématique. « La conversation ouverte a permis de clarifier les malentendus et de calmer les frustrations qui ont alimenté la crise », fait remarquer une source au sein du gouvernement béninois. Les auteurs du coup d’État n’ont jamais accepté l’appui ouvert que M. Talon a donné à l’idée d’une intervention militaire régionale pour les déposséder, agitée après le coup d’État. Son vote pour un régime de sanctions économiques sévères, adopté simultanément par les chefs d’État voisins et qui a ravagé l’économie nigérienne, a également déplu à Niamey.

Porto-Novo a été vexé par les allégations de tentative de déstabilisation du Niger formulées le 11 mai par le premier ministre Ali Lamine Zeine, fondées sur l’existence présumée de bases françaises dans le nord du Bénin pour « entraîner des terroristes ». Ces allégations ont été immédiatement rejetées par Paris et Porto-Novo. Pour éliminer tout malentendu, une délégation officielle nigérienne a été invitée à visiter prochainement le nord du Bénin, selon plusieurs sources concordantes.

La tension originaire avait vu le jour lors de la mi-mai où un bateau-citerne avait atteint les eaux béninoises pour effectuer la première exportation de pétrole brut. Suite à son commerce obstrué à cause de la fermeture de la frontière par le régime militaire après le putsch nigérien, le Bénin avait mis la réouverture du passage frontalier comme pré-requis pour commencer les exportations. Cependant, le premier ministre Ali Lamine Zeine à Niamey n’avait pas accédé à cette demande.

L’arrestation subséquente de cinq citoyens nigériens, qui ont été accusés par le Bénin d’être affiliés avec le régime militaire, au port de Sèmè-Kpodji le 5 juin, avait exacerbé la situation déjà tendue. En réaction à cet incident, le régime, prétendant que ces Nigériens travaillaient pour une filiale de la China National Petroleum Corporation (CNPC), la compagnie qui manage le pipeline, avait stoppé l’écoulement de pétrole d’Agadem à Sèmè-Kpodji le jour qui suivait.

Même après la libération de ces individus à la mi-juin, la crise s’est accentuée avec la condamnation de trois d’entre eux à des peines de dix-huit mois de prison avec sursis pour « usurpation d’identité et utilisation de données informatiques truquées ». Aujourd’hui, leur sort demeure un sujet de négociations entre Niamey et Porto-Novo, alors que le régime militaire insiste pour que leur condamnation soit révoquée avant la reprise de l’extraction de pétrole à Agadem et aussi le rétablissement du passage frontalier. Cependant, cela reste sans succès jusqu’à présent.

Suite à une crise de quatre mois, il est impératif de rétablir de manière durable le flux de pétrole, autant pour la Chine que pour le Bénin et le Niger. Les pertes économiques sont énormes. Chaque jour, l’État nigérien perd environ 1,8 million de dollars, soit 1,6 million d’euros, en raison du non-export des 90 000 barils de pétrole prévus quotidiennement. Cela représente 25,4% des revenus pétroliers en ligne avec l’accord signé avec le CNPC. Cette situation aggrave la crise économique déjà existante. Au Bénin, l’économie est affectée par la fermeture persistante de la frontière nigériane car près du tiers du trafic annuel du port de Cotonou provient de l’import-export. Par ailleurs, la Chine aspire à tirer profit de son colossal investissement de plus de 6 milliards de dollars.

En mi-avril, Pékin avait consenti une avance de 400 millions de dollars sur les revenus pétroliers à la junte, qui s’était engagée à les rembourser en un an à un taux d’intérêt de 7%. L’exportation d’un million de barils finalisée le 20 août devrait améliorer la situation économique du régime en apportant environ 19 millions de dollars à Niamey. Cependant, une source nigérienne proche du dossier exprime ses inquiétudes : tant que la production à Agadem ne reprend pas, le Niger ne pourra pas honorer ses engagements vis-à-vis des Chinois et les intérêts continueront de s’accumuler. Selon ses calculs, il y a déjà près de 3,5 millions de dollars d’intérêts supplémentaires à payer par l’État nigérien depuis l’arrêt de la production de pétrole en début juin.

Au cours des dernières semaines, Beijing a intensifié ses efforts pour que le Niger et le Bénin respectent les conditions d’un accord tripartite concernant l’exportation de pétrole brut, établi en 2019. Afin de résoudre cette situation, une délégation chinoise s’est rendue à Cotonou et à Niamey en mi-mai, permettant le premier export de pétrole brut depuis les côtes du Bénin. Cependant, une alternative proposée par le gouvernement du Niger a suscité l’inquiétude de la CNPC selon plusieurs sources : ils envisagent d’abandonner l’exportation de pétrole par le Bénin au profit d’une route orientale via le Tchad.

Une deuxième option de pipeline a été envisagée, qui aurait connecté les puits de pétrole de l’est du Niger aux côtes du Cameroun via un oléoduc traversant l’ouest du Tchad. Cette idée avait déjà été envisagée lors de la construction du pipeline mais avait été rejetée par la Chine en 2018 en raison d’études de faisabilité démontrant que le Bénin présentait plusieurs avantages. Malgré cela, le gouvernement du Niger l’a remise sur la table début juin.

Selon Benjamin Augé, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), il est improbable que la CNPC construise un autre pipeline jusqu’au Tchad, considérant qu’elle n’a pas encore réussi à rentabiliser celui qu’elle a déjà bâti jusqu’au Bénin. Il rappelle que la compagnie a vécu une situation similaire en 2011 au Soudan du Sud, lorsque le président Salva Kiir a tenté, sans succès, de rediriger le pipeline à travers son pays pour bénéficier des revenus pétroliers, malgré l’accord préalable pour le passage par Port-Soudan.

Malgré l’invraisemblance d’un tel projet avec N’Djamena, l’idée a en effet été débattue lors de deux visites de délégations officielles tchadiennes à Niamey depuis le début du mois de juin. Du 10 au 13 juillet, Djimram Golsinda Esrom, directeur général adjoint de la Société des hydrocarbures du Tchad, et Ndolenodji Alixe Naïmbaye, ministre des mines, ont rencontré alors ministre nigérien du pétrole, Mahaman Moustapha Barké.

Barké, connu pour sa proximité avec le premier ministre Lamine Zeine, ancien représentant de la Banque africaine de développement à N’Djamena avant le coup d’État, a été démis de ses fonctions le 17 août sur ordre des forces militaires actuellement au pouvoir. Cela a-t-il été la conséquence de sa mauvaise gestion du dossier pétrolier ? Le gouvernement nigérien n’a pas répondu aux demandes d’informations du Monde Afrique.

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