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20 août 2024 23 h 11 min

« L’usage contemporain du ‘tchube’, un exemple d’affrication »

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C’est un thème populaire dans les conversations nocturnes, un dialogue sociologique qui a récemment suscité beaucoup d’intérêt. L’affrication, soit la tendance à exprimer certaines consonnes en créant une sorte de friction (par exemple, « tube » devient « tchube » et « vendredi » se transforme en « vendredji »), s’est lentement introduite dans notre paysage phonétique.

Pour les linguistes, c’est l’équivalent d’une découverte lunaire. Cette tendance autrefois appelée « palatalisation », est en réalité aussi ancienne que la langue française elle-même. Elle était présente dans la transition de certains termes du latin vers les langues romanes. À cause de son impact, caballus est devenu « cheval » et campania est devenu « champagne ». Depuis le début du XXe siècle, elle a été remarquée par un phonéticien dans le dialecte de la banlieue parisienne du XVIIe siècle, et est également associée aux dialectes du sud de la France, en particulier à la région de Marseille, où les serveurs disent « bon appétchit messieurs-dames ». Sous l’effet de l’influence de l’accent pied-noir entre autres, l’affrication revitalisée s’est propagée à travers toute la France. Et on la redécouvre.

Ce phénomène linguistique n’est plus simplement un indicateur géographique. « Depuis les années 1980, sa diffusion s’accélère de manière constante et assez uniforme sur le territoire métropolitain », a observé Clara Cini dans Le Monde en mai. Cette professeur de lettres modernes souligne aussi « l’influence de certains rappeurs et stars de télé-réalité » dans la propagation de cette façon de prononcer. Pour les jeunes, cela symbolise une appartenance à leur groupe, comme l’illustre Riad Sattouf dans certains moments hilarants de La vie Secrète des jeunes (L’Association, 2007-2012).

L’affrication reste majoritairement observée chez les garçons de milieux modestes et son extension progressive au sein d’une grande variété de la société reste en partie un mystère, comme affirme Cyril Trimaille, linguiste social à l’Université Grenoble-Alpes. Il note que Gabriel Attal utilise cette technique linguistique ancestrale avec plusieurs racines, tout comme Monsieur Jourdain utilisait de la prose. Pendant la législature précédente, alors qu’il était résidant de Matignon, le député des Hauts-de-Seine voulait promouvoir la diffusion des voitures électriques…

Dans la vie de tous les jours, les individus qui propagent cet attribut linguistique ne sont pas toujours considérés avec de l’empathie. Pour certains, ils pourraient même émettre un parfum de soufre. En janvier, après avoir lu une enquête de Libération sur ce sujet, Eric Zemmour a ridiculisé lui-même sur son compte X avec un sarcasme tranchant – « le grand remplacement n’existe pas » -, confondant sans gêne « affrication » (qui vient du latin affricare, signifiant « frotter contre quelque chose ») et « africanisation ».

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