Il faut être honnête dès le début : cette histoire ne correspond pas tout à fait à notre série. À la différence des cinq premiers épisodes présentés cet été, ce mystère de la science n’a pas été récemment résolu. Une conférence organisée par l’un de ses deux protagonistes majeurs, le professeur Barry Marshall, va même célébrer, en octobre à Perth (Australie), les 40 années qui se sont écoulées depuis la première expérience humaine confirmant sa découverte.
Cependant, réalisez une petite expérience parmi votre entourage. Interrogez vos amis sur les causes de l’ulcère à l’estomac. Ayant mené cette expérience plusieurs fois, nous pouvons vous le confirmer : la plupart d’entre eux vous diront « le stress » ou « l’acidité », mais toujours avec une part d’incertitude. Si vous connaissez des personnes ayant souffert de cette maladie, leur réponse sera bien différente, et cette fois, sans la moindre hésitation : « une bactérie ». Ils pourraient même mentionner son nom : Helicobacter pylori.
C’est ainsi que se développe la connaissance. Bien que depuis quarante ans, la culpabilité du pathogène ait été prouvée, que depuis presque trente ans, le traitement standard est basé sur des antibiotiques, que les initiateurs de cette révolution médicale aient été honorés par le prix Nobel il y a dix-neuf ans, la grande majorité des gens ignore toujours la nature infectieuse des ulcères digestifs et des cancers susceptibles d’en découler. C’est pourquoi nous avons choisi de partager ce « cold case » devenu historique.
Daniel Boorstin, juriste et historien américain, disait souvent qu’au lieu de l’ignorance, c’était l’illusion de connaissance qui empêchait la compréhension véritable. C’était particulièrement vrai pour la communauté scientifique à la fin des années 1970 qui était convaincue de ses connaissances. Depuis 1586, l’autopsie du médecin italien Marcellus Donatus de Mantoue a révélé des lésions internes caractéristiques dans l’estomac ou le duodénum. En outre, depuis 1910, la science a trouvé le fautif derrière ces lésions : l’acide gastrique, comme l’a déclaré le médecin-chercheur croate Carl Schwarz dans sa célèbre formule : « Pas d’acide, pas d’ulcère ».
En conséquence, on a recommandé aux patients de changer leur régime alimentaire, en réduisant l’épice et évitant l’alcool. Il a également été observé que le tabagisme aggravait la maladie. D’autres causes possibles ont été identifiées, comme le stress, qui déséquilibre la balance entre l’acide et le mucus protecteur de l’estomac. Au cours du vingtième siècle, une origine psychologique a été suggérée, tout comme une prédisposition génétique vu que la maladie semblait se propager au sein de la même famille.