Le trajet menant au domaine Taaibosch traverse une propriété familièrement nommée Courchevel, précédant une ferme nommée Navarre. Au Cap, les noms de lieux français ne sont pas inhabituels, grâce à l’arrivée d’Huguenots protestants qui ont cherché un havre après l’annulation de l’Édit de Nantes en 1685. Certaines de ces personnes ont cultivé les vignes dans des fermes qui, trois siècles après, sont désormais des domaines reconnus. Une nouvelle saga est en cours de création – celle d’un vignoble qui améliore peu à peu sa réputation pour attirer de nouveaux investisseurs étrangers, y compris les Français, qui possèdent une quinzaine de domaines.
Après avoir réalisé des acquisitions en Sicile et en France – comme le Vallon des Glauges, producteur d’un rosé apprécié – la famille Oddo cherchait à ajouter des vins définis comme « du nouveau monde » à ses possessions. L’Afrique du Sud a été préférée à l’Argentine et à la Nouvelle-Zélande. C’est le célèbre terroir de Stellenbosch qu’ils ont choisi, acquérant trois domaines, dont Taaibosch en 2017, la gemme du groupe qui produit uniquement Crescendo. Bertrand Otto, ancien du groupe Edmond de Rothschild, également présent en Afrique du Sud depuis 1997 par le biais de la marque bien connue Rupert & Rothschild Vignerons, une entreprise franco-sud-africaine, leur a suggéré cette destination.
« Le domaine le plus resplendissant »
Pascal Oddo et Lorraine, sa fille, ont profondément adoré le pays, comme Lorraine l’a partagé lors d’une conversation téléphonique. Stellenbosch, avec sa réputation exemplaire, est qualifié par Lorraine comme une superbe appellation qui gagne en popularité mondialement. Elle souligne également la splendeur de leur domaine, évoquant la magnifique présentation, la vue incroyable sur l’océan qui apporte une fraîcheur unique aux vins et protège les vignobles lors de fortes averses. Schalk-Willem Joubert, le vigneron de Taaibosch, leur avait assuré, lors de leur acquisition, qu’ils détenaient « le plus beau domaine d’Afrique du Sud ».
Joubert, un agriculteur accompli, se promène avec passion dans les collines du domaine à bord de son 4×4. La pente s’élève à 400 mètres au-dessus de l’Atlantique, qui est en vue depuis les vignobles. « Pour ceux qui souhaitent produire un vin à l’image de Bordeaux, c’est la propriété idéale », avait pensé Joubert lorsqu’il avait découvert la ferme. Cette appellation et son terroir sont propices à la croissance des cépages bordelais tels que le cabernet sauvignon, le cabernet franc, le merlot et le petit verdot.
Cependant, le décor, dominé par les montagnes qui encadrent Stellenbosch, ne ressemble pas du tout à la Gironde. Selon Joubert, cette topographie distincte augmente les coûts de production; le territoire est plus coûteux, les pentes sont abruptes et l’expansion urbaine limite la disponibilité du terrain. Néanmoins, ceux qui investissent ont l’intention de produire le meilleur vin qui soit, et Stellenbosch leur offre cette opportunité.
Maryna Calow, représentante de Wines of South Africa, souligne que l’offre en Afrique du Sud est très attractive. Bien que Stellenbosch soit le vignoble le plus cher du pays – avec un coût moyen de 50 000 euros par hectare de terrain arable – elle insiste sur le fait qu’il est toujours moins coûteux que l’achat de terres en Europe ou dans la Napa et la Sonoma Valley en Californie, tout en offrant une production de grande qualité. En effet, la production vinicole y est également plus rentable.
Les importantes sommes investies proviennent principalement d’investisseurs internationaux, et leur intérêt pour le pays n’est pas récent. C’est toutefois l’entrée en scène de géants comme Les Grands Chais de France qui a récemment revitalisé le secteur. Cette entreprise familiale alsacienne, premier producteur et commerçant de vin européen, a acquis en 2022 Neethlingshof, producteur de vins rouges et blancs, et en 2023, Villiera, un domaine réputé pour son Méthode Cape Classique, l’équivalent sud-africain du crémant.
La demande pour les vins sud-africains est en augmentation, en particulier chez les jeunes consommateurs européens, moins préoccupés par l’origine locale de leurs achats. Beaucoup d’entre eux apprécient le profil de ces vins, notamment les rouges, et sont souvent surpris par la qualité des vins mousseux. C’est ce que rapporte Matthias Schwunk, directeur exécutif du secteur des vins internationaux et spiritueux aux Grands Chais de France.
En seulement trois ans, le groupe a réussi à doubler la capacité de production du domaine Neethlingshof grâce à des investissements conséquents. Selon Matthias Schwunk, cet endroit est très prometteur malgré son apparente inactivité. Le groupe a choisi de faire de l’Afrique du Sud leur priorité car ils anticipent une augmentation considérable de la popularité globale des vins sud-africains. Maryna Calow, de Wines of South Africa, a indiqué anonymement que des entreprises françaises cherchent à acquérir plus de domaines.
Pour ces géants de l’industrie de l’alcool, avoir des vignes dans les deux hémisphères leur permet de récolter à deux occasions différentes dans l’année. Cette stratégie leur permet également de minimiser les risques économiques causés par des désastres climatiques qui pourraient affecter leurs vignobles et de prédire les évolutions du marché.
Caroline Galmard, en charge des relations publiques pour le groupe français Cordier, indique que leur but est de rester en avance sur le marché. Par exemple, ils ont devancé la tendance des sauvignons à 9 degrés venus d’Afrique du Sud. Bien que le groupe ne possède pas de vignes, ils collaborent néanmoins avec des coopératives et des domaines pour exporter en vrac ou en bouteille vers le marché nord-européen depuis 2017.
L’acquisition la plus récente du groupe français AdVini est le domaine Kleine Zalze, acquis en 2022. Cette propriété, bien que située près d’un technopark et bloquée dans un complexe résidentiel, n’a pas le charme traditionnel des domaines le long des routes des vins, mais son chenin blanc est très apprécié. Avant cela, ils avaient acquis les vignobles Stellenbosch en 2018, Le Bonheur et Ken Forrester en 2016, et enfin L’Avenir en 2011.
La diversité des vins proposés dans les supermarchés et restaurants du pays est grandement appréciée, comme le souligne Jean-Louis Leroy, représentant de vente français pour Kleine Zalze. Il évoque la large gamme de prix allant de 5 à 24 euros pour un cabernet sauvignon. « On a des vins pour les classes populaires et des vins pour l’Élysée », plaisante-il.
L’entreprise Kleine Zalze espère accéder à de nouveaux marchés grâce à la force d’AdVini. La directrice de Kleine Zalze, Carina Gous, explique: « Je n’exporte pas aux États-Unis ni en Chine pour le moment. Mais avec AdVini, c’est censé devenir plus facile. Ils ont un bureau aux États-Unis, une société d’import-export et un réseau en Asie. Ils ont pour ambition de nous aider à agrandir notre marché ».
Le secteur viticole à Stellenbosch et ailleurs dans le pays semble en légère décroissance, principalement à cause d’une faible rentabilité qui pousse vers d’autres cultures. Seuls 12 % des vignobles sud-africains sont profitables.
Parmi ces derniers, on compte Glenelly, le plus renommé des domaines français en Afrique du Sud. Le directeur, Nicolas Bureau, se réjouit du parcours remarquable de la marque sur deux décennies qui l’a amenée à une distribution presque mondiale et une reconnaissance comme grands producteurs de cépage rouge bordelais.
Nicolas Bureau est le petit-fils de May-Eliane de Lencquesaing, ancienne propriétaire de la reconnue propriété viticole bordelaise, le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande. Âgée de 99 ans, cette pionnière reste investie dans le domaine qu’elle a acquis en 2003 pour concrétiser son rêve de production vinicole dans l’hémisphère Sud.
Dans le sous-sol, un minuscule corridor divise deux pièces vitrées. D’une part, on conserve des flacons de Lady May, le vin haut de gamme de Glenelly. D’autre part, on présente des flacons de Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande, provenant de l’ancien domaine bordelais vendu en 2006.
« Le récit que nous tentons de transmettre à nos visiteurs est que les vins sud-africains de qualité supérieure devraient être traités de la même manière que les grands vins de Bordeaux. Ils devraient être stockés et vieillis car ils se bonifient avec le temps et chaque cuvée est unique », souligne Nicolas Bureau. Le directeur partage une perspective quelque peu « romantique » sur le vin. Cela contraste avec les tendances des consommateurs qui apprécient les vins jeunes et les aspirations d’une industrie qui est venue en Afrique du Sud pour augmenter sa production.
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