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« Le tatouage m’a aidé à réclamer mon corps comme le mien. J’ai cessé d’être un torse exposé, nu, jonché d’électrodes, sondé par les stéthoscopes. Ce n’était plus un corps soumis à l’intrusion médicale. Mon dos tatoué est le symbole de ma libération et de l’harmonie entre mon corps et mon esprit. Il me donne la possibilité de me renouveler au fur et à mesure que je mûris…
J’avais seulement 3 ans et demi lorsque la valve mitrale de mon cœur a été endommagée par une combinaison de maux, y compris une angine, une scarlatine et un rhumatisme aigu. Nous venions tout juste d’arriver du Portugal, ma mère n’avait pas encore acquis la maîtrise suffisante du français pour contester le diagnostic imprécis du médecin – qui pensait que j’avais la rougeole. Notre épicière m’a sauvée la vie en me conduisant d’urgence à l’hôpital de Chambéry, où je suis restée près de quatre mois.
De ce jour, ma jeunesse a été dictée par les restrictions médicales, les règles de prévention des maladies. J’étais mise sous une protection excessive, avec pour instruction de ne pas m’épuiser et d’éviter tout contact avec des sources d’infection. J’étais devenue fragile, “la petite cardiaque”. Comme tous les enfants, je voulais grimper et courir, mais si je courais pendant la récréation, les autres enfants le rapporteraient à l’enseignant. Les activités comme la natation, la luge, le vélo n’étaient faisables qu’en secret, grâce à mon frère. Mon parcours scolaire s’est déroulé de façon intermittente. »
Je ne ressens aucune amertume envers les adultes, mais la précaution excessive dont j’ai été victime m’a bridée. Dans la crainte que je ne perde la vie, on m’a privée de vivre. Je me sentais marquée, inhibée, défectueuse, doutant de ma capacité à être aimée. Déconnectée de mon corps, je n’avais jamais expérimenté mes limites physiques. Ainsi, aux alentours de mes 20 ans, j’ai maladroitement cherché à combler ces manquements, en apprenant à skier, à courir, à faire de la randonnée… À ma grande surprise, le cardiologue a dit : « C’est très bien, poursuivez. » Les mesures préventives avaient évolué !
“Un emblème de fidélité”
Le tatouage m’a captivée depuis l’enfance. J’ai toujours vu cet embellissement corporel comme le signe des aventuriers, de l’exotisme, d’une liberté dont je ne pouvais être privée. J’ai passée le cap à 24 ans en me faisant tatouer un petit gecko sur le bas de mon dos en hommage à mon Algarve natale. Six ans plus tard, grâce à un cadeau de mes amis pour mon anniversaire, j’ai pu me faire tatouer un lierre qui s’étend du bas de mon dos jusqu’à l’épaule droite.
C’est pour moi un symbole de fidélité, envers moi-même et mes valeurs. Je m’identifie à l’obstination de cette plante qui fleurit en automne et grandit en symbiose avec son support. J’ai intériorisé cette détermination, cette puissance vitale. J’ai adopté une avancée graduelle comme rythme de vie. Par la suite, le tatoueur Franck de Villefranche a ajouté des ombres et des feuilles d’acanthe sur mon épaule droite, se prolongeant jusqu’au sommet de ma cuisse gauche. Elles reflètent mon appréciation pour l’ornementation architecturale et l’art sacré.
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