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16 août 2024 11 h 06 min

L’allégée amitié entre Heidegger et Husserl

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Lorsqu’il avait environ vingt ans, Martin Heidegger (1889-1976) a été profondément affecté par ce qu’il considérait comme « la magie du livre ». Vivant à Fribourg-en-Brisgau, dans l’ouest de l’Allemagne, le jeune Heidegger venait d’abandonner son ambition de devenir prêtre. C’est à ce moment qu’il a découvert les œuvres du philosophe Edmund Husserl (1859-1938). Pour Heidegger, cette découverte était si marquante qu’il ne cessait de relire les travaux de Husserl pendant plusieurs années, comme il l’écrit en 1969. Rencontrer Husserl, de trente ans son aîné, a eu un impact déterminant sur son cheminement personnel. Heidegger lui était redevable pour avoir réussi à s’éloigner de l’idéologie psychologique dominante de l’époque, ce qui lui a permis d’envisager une nouvelle perspective sur la conscience, l’homme et la vérité.

En 1913, Heidegger soutient une thèse intitulée « Doctrine du jugement dans le psychologisme », où il se révèle comme un disciple dévoué et obéissant. Pour promouvoir l’autonomie de la logique par rapport à la psychologie, il commence à intégrer la notion de temps dans ses réflexions. La « question de l’être », qu’il va progressivement mettre en avant et finalement positionner au cœur de sa philosophie, est à peine mentionnée à cette époque. Husserl, de son côté, ne semble pas accorder une grande importance à cet étudiant. Cependant, tout change pendant l’hiver 1917-1918. À la recherche d’un nouvel assistant, Husserl intensifie ses discussions et sa correspondance avec Heidegger.

Dans la relation complexe qui se forme entre le maître et son jeune disciple, on observe une clarté d’esprit que le maître parvient à reconnaître chez le jeune homme. Ceci est confirmé par une lettre reçue alors que Heidegger est mobilisé sur le front. Simultanément, Husserl apprend la tragique nouvelle de la blessure au cerveau de son fils aîné, après avoir déjà perdu son plus jeune fils en 1916. Il perçoit Heidegger comme une sorte de fils de remplacement. S’ensuit une relation compliquée qui alterne entre une amitié profonde et une incompréhension marquée, une admiration mutuelle et un silence froid entre ces deux penseurs fondamentalement différents.

Au fur et à mesure, il devient évident que tout les séparent. Husserl, aspirant à transformer la philosophie en une « science rigoureuse », a foi en l’universalité, la rationalité et l’Europe. De l’autre côté, Heidegger critique radicalement l’humanisme classique et exalte l’irrationalité. Il s’allie au nazisme, qui instaure l’exclusion des non-Aryens de la fonction publique. En raison de ses origines juives, Husserl est mis en congé, ce qu’il décrit comme la plus grande humiliation de sa vie. Bien que la mise en application de cette mesure ait été suspendue par hasard, et que Heidegger n’ai rien fait pour l’en empêcher, ce dernier lui envoie des fleurs. Husserl révèle que l’adhésion de son ancien élève au nazisme a marqué la fin de leur « prétendue amitié philosophique » et déplore son « antisémitisme de plus en plus manifeste ».

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