Biram Senghor, âgé de 86 ans, n’a guère conservé de souvenirs tangibles de son père, si ce n’est une photo fanée et plissée par le temps, montrant un homme au visage sérieux, vêtu d’un uniforme militaire. Il se souvient précisément de quelques numéros : 32 124, son numéro matricule, et 6, le numéro de régiment d’artillerie coloniale de son père. Ces pièces minces du passé sont tout ce qui reste pour l’homme âgé, qui n’a jamais eu l’occasion de revoir les restes de son père. M’Bap Senghor repose dans une fosse commune à Thiaroye, au Sénégal, avec des dizaines d’autres tirailleurs africains tombés sous les balles de l’armée française le 1er décembre 1944.
Alors que la France marque solennellement le 80ème anniversaire du débarquement de Provence le jeudi 15 août, en présence de leaders internationaux dont des dirigeants africains, le souvenir de la tragédie de Thiaroye reste prégnant. Cette partie de l’histoire de la libération de la France, où les tirailleurs africains ont joué un rôle crucial, est souvent évincée. Le président français, Emmanuel Macron, n’a pas mentionné Thiaroye dans son discours. L’Élysée avait précisé en amont que ces événements seraient traités séparément lors d’un hommage prévu le 1er décembre suivant. Pourtant, les deux anniversaires touchent à des souvenirs communs, comme le suggère la présence à Boulouris et Toulon, le jeudi, d’une délégation d’élèves de Thiaroye.
Biram Senghor se souvient encore vivement du choc subi suite à la perte soudaine de son père, huit décennies plus tard. Installé dans son village natal, Diakhao, à l’ouest du Sénégal, il raconte : « Des pleurs ont éclaté chez nous. J’étais un enfant de 5 ans à l’époque et ma grand-mère m’a annoncé la mort de mon père. Je me suis enfui en courant, sans comprendre. »
« La France doit répondre pour son crime », affirme cet ancien officier de police. Il a passé la moitié de sa vie à chercher des réponses. Depuis les années 70, il a interpellé le ministère des armées françaises ainsi que les différents présidents sénégalais et français. Il se pose toujours les mêmes questions : comment et pourquoi des soldats africains, partis au front pour protéger leur patrie, la France, contre les nazis, ont-ils pu être exécutés par la même France, simplement parce qu’ils réclamaient leurs pensions ?
Ses lettres dactylographiées font le tour des bureaux de l’administration pendant des années, mais sont rejetées ou ignorées. En 1974, Biram Senghor a fait une première demande pour que son père soit reconnu comme « Mort pour la France », malgré l’ironie cruelle de ce titre. Il espérait que cela pourrait mener à une reconnaissance et à une réparation. En retour, le ministère des armées lui informe que les conditions entourant la mort de son père ne donnent pas droit à une pension pour ses héritiers.
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