Le destin du requin du Groenland, porteur du titre de vertébré ayant la plus longue durée de vie, est de passer plusieurs centaines d’années dans les eaux gelées des profondeurs abyssales, où la lenteur et l’obscurité sont éternelles. Une étude publiée en 2016 suggère qu’ils peuvent vivre de trois à cinq cents ans.
«Toucher un être qui a vécu si longtemps est une expérience émotionnelle», admet Eric Ste-Marie, un doctorant en biologie à l’Université de Windsor, au Canada. De nombreux chercheurs, captivés par cette espèce, tentent de comprendre les mécanismes responsables de la durée de vie incroyablement longue de ce requin géant pouvant mesurer jusqu’à 5 mètres. Le mystère qui entoure cette longévité extraordinaire semble peu à peu se dissiper grâce à une multiplication des publications scientifiques ces dix dernières années.
John Steffensen, professeur de biologie marine à l’Université de Copenhague (Danemark) qui organise des missions scientifiques pour étudier ces animaux, avance qu’ils vivent dans des conditions de température très froide, généralement entre -1,8 et 7,5 degrés Celsius. Contrairement aux mammifères qui gardent une température corporelle constante, celle des requins s’adapte à leur environnement. Quand ces requins descendent à plusieurs centaines de mètres sous la banquise, leur température corporelle atteint -1,8 degrés Celsius, la température de congélation de l’eau de mer, réduisant ainsi considérablement leur métabolisme, soit l’ensemble des réactions biologiques et chimiques de leurs cellules.
Holly Shiels, une professeure des sciences cardio-vasculaires à l’université de Manchester, propose que l’incroyable longévité du requin du Groenland est due à son mode de vie. Vivant dans les profondeurs de l’océan, un environnement difficile à atteindre pour les hommes, et ayant très peu de prédateurs, cette créature peut vivre aussi longtemps qu’elle le peut. Shiels a consacré une décennie à étudier son métabolisme musculaire et la physiologie de son cœur.
Le requin du Groenland est extrêmement lent, y compris son rythme cardiaque. David McKenzie, directeur de recherche au CNRS à Montpellier, a effectué des électrocardiogrammes sur des requins qu’il a plongés dans une piscine sur un port de l’île de Disko, au Groenland. Il a constaté que leur cœur ne bat que 4 à 6 fois par minute lorsqu’ils sont au repos.
Selon la théorie du « pace-of-life », la longévité est liée à la vitesse des fonctions métaboliques. Par exemple, un colibri, qui a un métabolisme et un rythme cardiaque élevés, ne vit que trois ans environ. Le requin du Groenland, avec son métabolisme ralentie par le froid et son cœur lent, pourrait vivre au moins trois siècles. Cependant, cette théorie ne pourrait pas expliquer entièrement leur longévité, car d’autres espèces arctiques ayant la même fréquence cardiaque vivent seulement vingt ou quarante ans, indique Shiels. Elle pense qu’il existe quelque chose d’unique chez le requin du Groenland.
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