Le « mauvais œil » est considéré de nos jours comme une simple superstition. Cependant, il fut autrefois un sujet de débat scientifique. Béatrice Delaurenti, enseignante à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a récemment écrit un livre érudit et captivant à ce sujet, Mauvais Œil. Une histoire médiévale. Cette publication de 216 pages, disponible pour 21,50 euros, décrit en détail le débat qui a intrigué les intellectuels pendant trois siècles à la fin du Moyen Age.
Qu’est-ce que nous savons sur les origines de la croyance du « mauvais œil » ?
Selon Béatrice Delaurenti, il est difficile de déterminer précisément quand cette croyance a pris naissance. Cependant, elle confirme que l’idée d’un regard maléfique est attestée depuis l’Antiquité et qu’elle est courante dans différentes cultures à travers le monde, occident inclus.
Il y a plusieurs caractéristiques que les anthropologues ont identifiées comme communes à cette croyance : premièrement, le mauvais œil est un pouvoir qui se manifeste à travers le regard. Deuxièmement, ce pouvoir a un effet dévastateur et asséchant, affectant la force vitale d’une personne, par exemple en détruisant les cultures ou en altérant le lait maternel. En dernier lieu, il est associé à une émotion spécifique : l’envie.
Au Moyen Age, comment s’est développée l’opinion sur le pouvoir nuisible du regard ?
Mon analyse se concentre spécifiquement sur la période de 1140 à 1440. Au cours de ces trois siècles, j’ai été frappée par le volume de documents académiques traitant du mauvais œil. Ces discours émanaient de diverses disciplines, allant de la philosophie naturelle à la médecine, en passant par la magie, la théologie et la métaphysique. Cela indique que cette croyance n’est pas exclusivement populaire, mais prise en compte également par les intellectuels. Mon corpus se composait d’une centaine de textes provenant de septante auteurs, atteste de l’importance scientifique de cette subject.
Mon approche tente de développer une « anthropologie du mauvais œil » en la juxtaposant à une « histoire de la fascination ». Comment la fascination est-elle liée à cette croyance ?
L’expression « mauvais œil », couramment utilisée aujourd’hui, n’existait pas au Moyen Âge. Le concept était plutôt désigné par le terme « fascination » (fascinatio en latin). Le verbe « fasciner » (fascinare) est une traduction du mot grec baskainein qui signifie à la fois « envie » et « mauvais œil ». Ce terme est mentionné dans l’Épître aux Galates, où l’apôtre Paul reproche aux Galates d’avoir délaissé le christianisme pour revenir à leurs anciennes croyances, et se demande qui a pu les « fasciner » (Gal. 3, 1-14).
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