Au cours de l’enfermement, si cela vous revient à l’esprit, la photographie d’ordinateurs ouverts sur des bureaux face à des paysages variés – bord de mer, piscine ou pâturage normand -a gagné du terrain sur les réseaux sociaux, avec l’étiquetage « bureau » ou » office pour la journée ». En somme, ces images véhiculaient l’idée : « N’est-ce pas incroyable de pouvoir travailler d’ici? » Pourtant, ces photos d’ordinateurs donnant sur la plage ne véhiculaient qu’un seul message : « Ma vie est mieux que la tienne ». Cependant, personne dans l’environnement professionnel n’apprécie ce genre de rappel.
Ces images qui offraient une certaine satisfaction pour peu de frais sont progressivement en train de disparaître, tout comme l’action de faire pivoter son ordinateur en plein zoom pour montrer la vue ou de faire une apparition avec les cheveux encore mouillés lors d’une vidéoconférence. Prenons l’exemple de Clémence, une cadre dans une entreprise tech, qui se réserve quelques semaines de vacances en bord de mer l’été. « Je n’en fais pas une annonce générale…, si on me le demande, j’y réponds, mais je ne lance pas mes appels en disant : ‘Salut, je suis au Pays Basque!’ C’est un privilège, je ne souhaite pas que tout le monde le sache ». Ce n’est pas que son entreprise est contre le télétravail – leur bureau a été fermé de mars 2020 à février 2022, collaborant tous à domicile, et cela s’est plutôt bien passé -, mais elle a ressenti le changement d’air. « Quand j’ai appris que Google commençait à rapatrier toutes ses équipes en présentiel, cela m’a fait réfléchir. J’ai l’impression qu’on est en train de faire machine arrière… »
Elle décide de masquer son environnement, tout comme Valérie, la responsable logistique d’une banque, qui a récemment profité de vacances sur la côte espagnole de Grenade. Son chef était le seul informé. « Je ne prévois pas de le divulguer à tous, c’est une source potentielle de jalousie. On se sent regardé et jugé, surtout que prendre l’avion pourrait être critiqué… » Selon elle, le risque n’est plus d’être perçu comme irresponsable : le travail à distance est largement accepté, comme en témoignent les bureaux presque vides tous les vendredis. « C’est comme une lutte de classes, il y a ce fossé évident entre ceux qui peuvent se permettre ce luxe et ceux qui sont obligés de pointer à la base. » Elle est consciente de sa double chance – l’opportunité de vacances et le privilège de travailler à distance -, ce qui explique la diminution, voire l’absence, des photos de son ordinateur portable à l’ombre des palmiers, en faveur d’une attitude plus réservée : « je ne le cache pas, mais je n’en parle pas non plus explicitement », pour reprendre les propos d’un cadre du secteur du vêtement. Le reste de cet article est réservé aux abonnés. Il reste 57,88% à lire.
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