Imane Khelif, une boxeuse Algérienne, a gagné sa place pour la finale des moins de 66 kg qui se tiendra le vendredi 9 août. Elle espère décrocher la première place et mériter une médaille d’or. Une victoire serait pour elle une bouffée d’air frais, alors que son identité de genre a été mise en doute depuis le début de ces Jeux Olympiques, et elle a été prise pour cible. Après sa victoire face à Angela Carini, une boxeuse italienne, par abandon au huitième de finale, jeudi le 1er août, des accusations selon lesquelles elle serait un homme luttant délibérément dans la catégorie féminine ont émergé. Ces accusations allaient même jusqu’à la prétendre promotrice de la violence à l’égard des femmes.
Ce n’est pas la première fois que son apparence androgyne pose question dans le monde de la boxe. En mars 2023, elle a été disqualifiée lors des championnats du monde de boxe amateur à New Delhi pour inéligibilité, tout comme Lin Yu-Ting de Taiwan, qui est actuellement en finale des moins de 57 kg aux Jeux Olympiques de Paris. À l’époque, Khelif avait dénoncé une « vaste conspiration » à l’encontre de l’Algérie.
Umar Kremlev, le président de la Fédération internationale de boxe, avait déclaré aux agences de presse russes que les deux boxeuses auraient prétendu être des femmes, alors qu’elles portaient des « chromosomes XY ». Plus récemment, l’IBA a indiqué avoir effectué un test, dont les détails demeurent secrets, qui suggère qu’elles auraient un avantage compétitif sur les autres athlètes féminines. Selon l’IBA, la définition d’un homme est « un individu avec un chromosome XY ». Pour Umar Kremlev, proche du Kremlin et de sa vision traditionnelle et conservatrice du genre, ces athlètes sont des hommes et devraient être exclus des compétitions féminines.
Le président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, a défendu le 3 août le droit de deux boxeuses à participer à la boxe féminine. Selon lui, ces boxeuses sont nées femmes, ont été élevées en tant que telles, leur passeport indique le sexe féminin et elles ont concouru comme des femmes pendant de nombreuses années. En revanche, le CIO et l’IBA (International Boxing Association) sont en désaccord profond sur cette question. L’IBA ayant été exclue par le CIO en 2023 suite à des cas de corruption. L’IBA perçoit une distinction biologique stricte entre les hommes et les femmes, contrairement à le vision inclusive ou « woke » que le CIO prône, selon ses partisans.
Des figures publiques à forte influence ayant des vues transphobes telles que l’écrivaine J.K. Rowling ont partagé leur point de vue sur ce sujet. Rowling a interprété la victoire d’Imane Khelif comme l’acte d’un homme se moquant après avoir frappé une femme, en faisant allusion de façon sarcastique au « nouveau mouvement des droits de l’homme ». Elon Musk, le célèbre entrepreneur, a également exprimé son opinion, déclarant que la participation d’Imane Khelif et Lin Yu-Ting aux Jeux olympiques était « terriblement injuste ».
Plusieurs leaders politiques d’extrême droite ont soutenu ces critiques. Matteo Salvini, le leader de la Ligue du Nord en Italie, a demandé de cesser avec la folie de l’idéologie woke, tandis que la première ministre italienne, Giorgia Meloni, a exprimé son désir de voir « une compétition enfin équitable » et a montré son soutien à Angela Carini. En campagne, Donald Trump s’est engagé à « garder les hommes hors des sports féminins ».
En France, les groupes conspirationnistes pro-Kremlin ont rapidement adopté le discours de l’IBA. C’est le cas de Silvano Trotta, un influenceur complotiste, qui prétend que « ni Lin ni Khelif ne sont des femmes biologiquement ». Un photomontage qui place Imane Khelif au premier plan des divinités queer lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris représente l’accusation portée par les réseaux d’extrême droite contre des Jeux Olympiques woke, considérés comme une attaque contre les valeurs chrétiennes traditionnelles. Cependant, Imane Khelif n’est ni un homme biologique, ni transgenre.
Stéréotypes biologiques
Au cœur de ce conflit culturel, la boxeuse algérienne Imane Khelif est souvent mal comprise et prise pour un homme et même accusée de tromperie. C’est le cas du président de l’IBA, Umar Kremlev, qui a affirmé en 2023 qu’elle avait « tenté de tromper » ses concurrentes. Bien que la cause précise de l’apparence androgyne d’Imane Khelif ne soit pas claire et fasse l’objet de suppositions, les critiques à son encontre reposent généralement sur des stéréotypes biologiques simplistes.
Par exemple, les internautes qui nient sa féminité supposent souvent que la combinaison des chromosomes X et Y est spécifique aux hommes, alors que des exceptions existent en raison de troubles du développement sexuel, comme dans les cas du syndrome de Swyer ou du déficit en 5α-réductase de type 2. Ils supposent également que la testostérone, souvent citée pour différencier les hommes et les femmes, serait une hormone uniquement masculine, tandis que les ovaires en produisent aussi, bien que en moindre quantité, et que certaines femmes, dites « hyperandrogènes », en produisent en grande quantité.
Le dernier stéréotype commun avance que les deux principaux genres biologiques sont clairement définis, ignorant l’existence de situations plus floues. Par exemple, on évalue qu’environ 1,7% des êtres humains sont intersexués, démontrant des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas à la définition typique de leur genre, selon une méta-analyse de 2000.
Au-delà de cette idée simpliste de la biologie, des jugements mal informés sont également présents sur les médias sociaux, souvent avec des manipulations flagrantes. Les opposants à la « wokeness » diffusent, via des zooms et des cercles colorés, des affirmations selon lesquelles Imane Khelif serait anatomiquement masculine, en se basant sur la moindre ombre sur son short. D’autres analysent chaque mouvement qu’elle fait pour suggérer qu’il indiquerait des organes génitaux masculins.
Silvano Trotta a même mis la main sur une ancienne photo de la presse régionale française pour déclarer catégoriquement qu’elle »porte une coquille masculine ». Bien que ce soit un modèle masculin, cela n’a rien d’exceptionnel, « les boxeuses ont l’habitude de porter des coquilles à l’entraînement, c’est plus confortable », explique le champion olympique français Brahim Asloum.
La désinformation atteint parfois des sommets, comme l’extrait d’une interview en arabe qui date d’août, avec une traduction douteuse: « En 2017 nous étions des petits garçons… Je me voyais comme un futur champion olympique… Je suis un soldat algérien. » En fait, comme TF1 l’a noté, Imane Khelif dit en vérité: « Nous étions de petits enfants » et s’identifie comme une femme tout au long de l’entretien.
Des groupes conspirationnistes proches de l’extrême droite ont une tendance habituelle à pourchasser les individus qu’ils soupçonnent être transsexuels, en inventant sans cesse des pseudo-preuves. Ils ont utilisé les mêmes tactiques pour essayer de prouver que Brigitte Macron était un homme, dans le cadre d’une campagne de désinformation lancée à la fin de 2021, ou pour dénigrer Michelle Obama.
Depuis près d’un siècle, des doutes persistent. Les débats autour de l’éligibilité des athlètes féminines hyperandrogènes secouent le monde sportif depuis quinze ans, à la suite du triomphe retentissant de la Sud-Africaine Caster Semenya lors de la finale du 800 mètres des championnats du monde d’athlétisme. Au nom de l’équité en sport, la Fédération internationale d’athlétisme a imposé en 2018 l’administration d’inhibiteurs de testostérone aux femmes hyperandrogènes. Bien que la Cour européenne des droits de l’homme ait statué en 2023 qu’elle était victime de discrimination, sa participation à d’autres compétitions reste subordonnée à l’administration d’inhibiteurs hormonaux qui ont des effets secondaires notables.
Ce n’est pas une situation inédite. En 1936, la championne olympique allemande de saut en hauteur Dora Ratjen avait fait sensation par son apparence masculine. Une confusion à sa naissance, due à des organes génitaux difficiles à identifier, avait conduit ses parents à la déclarer et l’élever comme une fille, selon une enquête du Spiegel. Renommé Heinrich, il a légalement changé de sexe. Sa médaille d’or et ses records ont été effacés.
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