Véronique Margron préside la Conférence des religieux et religieuses de France et c’est à qui a été confié le premier récit d’une victime de l’abbé Pierre. Elle a eu un entretien avec cette victime avant que celle-ci ne se tourne vers la direction d’Emmaüs pour demander une enquête autonome sur son fondateur.
Pouvez-vous nous dire comment s’est déroulée votre rencontre avec cette première victime ?
Cette femme a appris à me connaître grâce aux médias, suite au travail de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église (la Ciase, dont le rapport a été rendu public en octobre 2021), et elle m’a contactée au début de l’année 2023. Elle a ensuite fait le déplacement jusqu’à chez moi, à Paris.
C’est assez navrant à admettre, mais je n’ai pas été portée à l’étonnement. Pas nécessairement par rapport à l’abbé Pierre dont je ne savais rien quant à sa vie privée, mais à cause des nombreuses histoires similaires que j’ai entendues depuis que je me suis investie dans ces causes. Il n’était qu’un nom de plus à ajouter à la liste. Initialement, cela a simplement intensifié le mélange de profonde tristesse et de colère que ces tragédies me font ressentir.
Ce n’est qu’après coup que j’ai pris conscience de l’énormité de l’impact de ces révélations sur l’abbé Pierre. La victime m’a exprimé sa peur que son récit ait un impact négatif sur l’engagement de Emmaus en faveur de la lutte contre la pauvreté, ce qui n’était absolument pas son intention. Cette peur a probablement contribué à la difficulté d’en parler.
Pourquoi l’abbé Pierre n’est-il pas considéré comme un agresseur ordinaire, malgré sa lutte contre la pauvreté ?
Abbé Pierre était une figure légendaire, courant le danger de se percevoir au-dessus du monde ordinaire et de ses lois de base, éthiques et juridiques. Cette situation n’est pas unique aux cercles religieux. Cependant, au sein de l’Eglise Catholique, être prêtre augmente ce risque à cause de leur prétendue connectivité à Dieu. Ceci recommande encore plus la déification d’une personnalité.
Les victimes au sein de l’Eglise subissent souvent des traumatismes profonds par la terreur d’exprimer leur souffrance, de remettre en question une identité respectée et évenutuellement considérée comme quasi-divine. Nous l’avons constaté, par exemple, avec les frères Philippe [Thomas (1905-1993) et Marie-Dominique Philippe (1912-2006), deux frères dominicains influents au XXe siècle, accusés de violences sexuelles et d’actes sectaires], Jean Vanier [fondateur de l’association L’Arche, accusé d’agression sexuelle] et beaucoup d’autres. En tout état de cause, parler aujourd’hui nécessite un courage immense.
L’Eglise ne devrait-elle pas être plus vigilante chaque fois qu’un prêtre devient populaire?
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