Malgré la promotion de l’événement sur Instagram par le biais d’un flyer, le rendez-vous de ce lundi soir de mai n’a attiré que sept personnes au restaurant communautaire de Masgot, un village creusois célèbre pour ses sculptures en granit. «Les « cafés queer » attirent habituellement une foule plus importante», confie Alix (qui a choisi de ne pas révéler son nom de famille, tout comme les autres participants mentionnés dans cet article), un des organisateurs de l’événement. Il porte une fine moustache brune et un tee-shirt orné d’une licorne et commande un Coca-Cola.
Depuis 2019, l’association LGBTQIA+ Creuse organise chaque mois une soirée dans un bar différent de la région, offrant ainsi une opportunité de rencontres pour les membres de la communauté LGBT+ qui se sentent souvent isolés dans ce département, un des moins densément peuplés de France.
Les invités âgés de 20 à 60 ans, assis à la terrasse, se sont tous déjà demandé où ils pouvaient faire des rencontres sans crainte d’hostilité. « Les « cafés queer » ne sont pas conçus spécifiquement pour faciliter les rencontres romantiques, mais ils peuvent aider », note Lou, vêtu d’un bob noir et d’une veste de survêtement à rayures noires, tandis qu’il roule une cigarette. Il a grandi à Guéret, a passé quelques années à Lyon pour son travail, puis est retourné en Creuse il y a deux ans. « Lorsque j’étais plus jeune, il n’y avait ni applications ni associations LGBT et afficher son homosexualité ou sa bisexualité n’était pas une option. Les gens concernés restaient discrets », se souvient-il.
Dans sa perception, Lou ne voit pas plus d’homophobie ici que dans les métropoles. Cependant, il note une doctrine de normalité banalisée qui donne confort aux personnes, cela étant symbolisé par une famille hétérosexuelle, une maison, une famille stable. Lorsque Alix a essayé d’approcher une femme dans un bar local, se présentant au masculin pour montrer qu’il était transgenre, il a été rejeté avec le commentaire «Je ne m’implique pas avec ça». Malgré ces déceptions, à l’âge de 40 ans, il n’a aucune envie de quitter : «Je fatigue facilement, j’apprécie l’absence de bruit de voitures et de transports publics. Je ne retournerais pas en ville uniquement pour socialiser avec des personnes qui me ressemblent».
Au-delà de la frustration, dans la majorité des principales villes françaises, il y a des bars, des groupes, des clubs sportifs, des discothèques LGBT+ qui favorisent les rencontres sociales. À la campagne, le faible nombre d’habitants rend la socialisation plus difficile, a constaté Virginie Le Corre, sociologue et auteure d’une thèse en 2019 sur les expériences de vie des hommes gays dans les campagnes alsaciennes. « Les personnes interrogées âgées de 20 à 50 ans n’ont pas fait de rencontres dans leur village. Toutes expriment leurs craintes d’un coming out comme une affirmation inévitable de leur différence. Initialement, certains avaient essayé de fréquenter des filles, pour simuler leur conformité à la norme amoureuse. S’ils avaient identifié un autre homme gay, ils s’interdisaient d’en discuter avec lui, pour se protéger mutuellement. En général, ces hommes partaient en ville pour leurs études et certains revenaient en campagne une fois qu’ils avaient trouvé un partenaire », révèle la professeur à l’université de Strasbourg.
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