La situation de tension entre le Hezbollah libanais et l’État israélien, déjà élevée depuis le début de la crise à Gaza en octobre 2023, a brusquement escaladé dans les derniers jours. La situation s’est encore envenimée arrivait quarante-huit heures après qu’une attaque au roquet a causé la mort de douze enfants druzes le 28 juillet dans le Golan, région annexée par Israël, l’État hébreu a riposté avec une « frappe précise » à la périphérie de Beyrouth, visant à éliminer Fouad Chokr, un des principaux dirigeants militaires du mouvement chiite, tenus par les Israéliens pour responsable de l’attaque. La réplique du dirigeant du Hezbollah, promettant une « réponse judicieusement préparée » et se disant « à l’aube d’un grand combat », laisse certains analystes craindre une spirale régionale.
Un retour sur les moments clés du conflit entre Israël et le Hezbollah offre une meilleure compréhension de ce qui divise l’État hébreu et la milice chiite du Liban.
La guerre au Liban en 1982 et la création du Hezbollah
L’histoire du Hezbollah (le « Parti de Dieu ») est étroitement associée à la résistance armée contre Israël. En réponse à l’opération « Paix en Galilée » en juin 1982, où l’État israélien a envahi le Liban pour tenter d’éliminer les membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui y avaient trouvé refuge depuis les années 1960, le mouvement chiite islamiste a été fondé. Soutenu par le gouvernement iranien de l’ayatollah Khomeini, qu’il considère comme un modèle, le Hezbollah déclare dans sa charte fondatrice : « Notre combat ne s’arrêtera que lorsque cette entité, Israël, sera supprimée ». Avant la formation du parti, certains de ses fondateurs étaient déjà engagés dans la lutte contre l’interventionnisme israélien au Liban.
En dépit du déplacement de l’autorité de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) du Liban vers la Tunisie à la conclusion de l’été 1982, l’armée d’Israël opte pour demeurer dans la région pour assurer sa protection. Elle conserve un secteur significatif du sud de la nation – voisin de son propre terroir – et également la capitale, Beyrouth. Dans ce contexte, le Hezbollah se transforme en son opposant principal. « Israël ciblait principalement les Palestiniens résidant au Liban jusqu’à cette époque, souligne May Maalouf, une experte en géopolitique et séries de tension du Moyen-Orient. À la suite du déplacement de l’OLP, la guerre entre Hezbollah et Israël a vraiment pris son envol. »
Les confrontations se propagent dans le sud du Liban dès 1985, moment où est officiellement révélée l’instauration du Hezbollah. Suite à l’assassinat d’Abbas Moussaoui par Israël en 1992, Hassan Nasrallah accède à la direction du groupe militant et oriente ses forces vers la guérilla, en attaquant les militaires israéliens ou leurs remplaçants de l’Armée du Liban sud (ALS), un groupe militant favorisant Israël constitué de chiites et de chrétiens libanais. Israel réplique en lançant des attaques dévastatrices, telle que les opérations « Responsabilité » (1993) et « Raisins de la colère » (1996), menant à la perte de vie de centaines de citoyens libanais et au déplacement de plus d’un demi-million de civils à travers le pays.
2000 : Israël se retire suite à une occupation de vingt-deux ans d’une portion du Liban.
Le 25 mai 2000, Israël se retire du Sud-Liban après deux décennies d’occupation. La pression de la population israélienne pour un retrait et les pertes importantes tant sur le plan humain que militaire ont fortement influencé cette décision, comme le souligne May Maalouf. Ce retrait témoigne de l’échec de la présence israélienne au Liban et marque une victoire pour le Hezbollah. En conséquence, Hassan Nasrallah qualifie ce jour comme un important succès historique, le premier depuis le commencement du conflit israélo-arabe, spécifiant que cette victoire clôt la période de défaites des Arabes et ouvre celle de leur triomphes, et inversément pour les sionistes.
L’atmosphère post-retrait est plus sereine malgré des incidents sporadiques et des invasions occasionnelles sur le territoire israélien. La milice manifeste son implication dans la politique libanaise en intégrant pour la première fois le gouvernement en 2005, bien qu’elle refuse d’abandonner la résistance armée contre Israël, arguent qu’un territoire nommé les fermes de Cheeba, de 25 km2 adjacent au plateau du Golan et sous contrôle syrien, reste occupé.
En 2006, une violente guerre éclate entre le Hezbollah et Israël quand en juillet, la milice libanaise pénètre sur le territoire israélien et capture deux soldats. Hassan Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah, justifie cette offensive par la nécessité d’avoir des leviers pour la libération de prisonniers.
La riposte immédiate de l’Etat israélien se manifeste par des bombardements, un blocage des voies aériennes et navales, ainsi qu’une invasion terrestre du Sud-Liban. En l’espace de 33 jours seulement, les affrontements ont entraîné la mort de 1 200 personnes au Liban, majoritairement des civils, et déplacé un million de personnes. Du côté israélien, le conflit a coûté la vie à 165 personnes, pour la plupart des militaires, et déplacé 500 000 personnes. Le coût humain n’a jamais été aussi élevé des deux côtés en si peu de temps.
May Maalouf déclare que « c’était une logique d’attaque pour attaquer : les deux parties voulaient prouver leur présence et leur force. Ils n’étaient moins concentrés sur des stratégies politiques ou frontalières, comme auparavant. Le Hezbollah voulait maintenir une visibilité qu’il avait commencé à perdre depuis 2000. Israël souhaitait montrer sa capacité à protéger ses frontières en envahissant le sud du Liban. »
La guerre civile syrienne a éclaté en 2011 entre l’armée du gouvernement en place et les groupes d’opposition au président Bachar Al-Assad. Durant ce conflit, le Hezbollah a choisi de soutenir le gouvernement syrien, qualifiant la révolution de « complot pour détruire l’alliance avec Assad contre Israël». En s’emparant de plusieurs villages syriens et en combattant aux côtés de l’armée syrienne dès le début, le Hezbollah a clairement pris part au conflit. May Maalouf considère que « Cela a marqué une évolution dans la position stratégique du Hezbollah dans la région. C’était l’une des premières interventions concrètes du mouvement sur le terrain. À travers cette guerre en Syrie, Israël était un ennemi indirect. »
Hassan Nasrallah n’a jamais dissimulé son point de vue: il a déclaré en 2013 que le Hezbollah ne permettrait pas que la Syrie soit prise par les États-Unis, Israël ou les groupes takfiri [fondamentalistes sunnites]. Suite à l’intervention du Hezbollah en Syrie, les forces hostiles au gouvernement Assad ont lancé des roquettes contre Beyrouth et demandé aux combattants libanais de se retirer. Israël, malgré sa neutralité officielle, s’est également impliqué dans ce conflit civil en ciblant le Hezbollah lors d’attaques aériennes dès janvier 2013.
2024 : répercussions de l’assaut du 7 octobre 2023 et du conflit actuel à Gaza.
Durant de nombreuses années, les affrontements directs entre le Hezbollah et Israël ne se sont limités qu’à des incidents ponctuels. Toutefois, les attaques du Hamas sur le territoire israélien, perpétrées le 7 octobre 2023, qui ont causé la mort d’environ 1 200 personnes, ont changé la donne. En réaction à ces attaques, Israël a bombardé la bande de Gaza dès le jour suivant. En signe de soutien au Hamas, le groupe chiite libanais a tiré ses premières roquettes sur les fermes de Chebaa, un territoire au sud du Liban occupé par Israël depuis 1967. Par la suite, l’armée israélienne a utilisé des tirs d’artillerie et des frappes de drones contre des positions du Hezbollah sur le plateau du Golan, également détenu par Israël.
D’après un rapport compilé par l’Agence France-Presse à partir de diverses sources, depuis le 8 octobre 2023, les affrontements entre l’armée israélienne et le Hezbollah ont entraîné au moins 527 décès au Liban, principalement des combattants, et 46 décès en Israël, la moitié étant des soldats. En outre, approximativement 160 000 individus ont été évacués de part et d’autre de la frontière libano-israélienne.
Malgré une recrudescence des combats ces derniers mois, les menaces entre les deux factions n’ont pas manqué. En juin 2024, Naïm Qassem, le Vice-chef du Hezbollah, prononce que toute extension du conflit au Liban aboutirait à « la ravage, la ruine et la migration » en Israël. De l’autre côté, Benjamin Nétanyahou, le Premier ministre israélien, menace de métamorphoser Beyrouth en « la nouvelle Gaza » en cas de guerre complète avec le Liban.
Cela rend-t-il ce scénario probable avec la montée actuelle des tensions? Selon May Maalouf, cette perspective n’est pas réalisable « pour l’instant ». Elle juge que « nul n’a avantage à ce que cela se produise. Ni le Hezbollah, car il s’affaiblirait, ni Israël en détresse sur la scène internationale, et encore moins l’Iran, qui ne pourrait pas combattre un allié des États-Unis ». C’est également l’opinion du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, qui a condamné, dans une déclaration le 21 juillet, la « rhétorique belliqueuse » d’Israël et du Hezbollah, tout en craignant que le Liban ne se transforme en « une autre Gaza ».
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