Un jour après leur libération, Vladimir Kara-Mourza, Ilia Iachine et Andreï Pivovarov ont pris la parole lors d’une conférence de presse à Bonn, en Allemagne, le vendredi 2 août, pour partager leur expérience. L’échange a réussi à « sauver 16 vies humaines. Je ne crois pas qu’il y ait un aspect plus crucial dans ce monde », a exprimé l’opposant russo-britannique Vladimir Kara-Mourza, qui purgeait une sentence de 25 ans en prison. Cependant, il a simultanément observé que cela représentait « une goutte d’eau dans l’océan » et a souligné qu’il a subi une expulsion illégale de son pays sans son accord. « Personne n’a sollicité notre approbation. Nous avons été retirés de prison, placés dans un bus, mis à bord d’un avion et expédiés à Ankara », a-t-il déclaré.
Quand on pense à la torture des détenus, la plupart s’imaginent la brutalité physique. Cependant, Vladimir Kara-Mourza insiste sur le fait que la torture mentale et psychologique est bien pire. Il explique que l’isolation prolongée est une forme de torture. Il révèle avoir passé dix mois en isolement, bien plus que ce qui est défini par les normes de l’ONU comme étant excessif – plus de 15 jours. Malgré les restrictions strictes – n’ayant été autorisé à parler à sa femme une fois au téléphone et à voir ses enfants seulement deux fois au cours de ces deux années, sans jamais avoir la permission d’aller à la chapelle de la prison – il a survécu. Il était convaincu qu’il allait mourir en prison sous le régime de Poutine, sans l’espoir de revoir sa famille. On lui avait suggéré d’écrire à Poutine pour demander grâce, mais il avait refusé, se considérant innocent et Poutine comme un dictateur illégitime. Néanmoins, il a été libéré peu de temps après. Alors que l’avion décollait pour Ankara avec lui et les autres détenus libérés à bord, on lui a dit qu’il ne reverrait jamais son pays. Cependant, en tant qu’historien, il était certain qu’il retournerait chez lui bien plus tôt que ce qu’ils pensaient.
Évoquant les conditions extrêmes de leur emprisonnement, Ilia Iachine, 41 ans, a révélé que son test médical post-libération en Allemagne avait signalé une « insuffisance en vitamine D », une boutade faisant référence à son incarcération depuis 2022 suite à ses critiques vis-à-vis de l’invasion de l’Ukraine. Il a affirmé qu’il avait reçu « des dizaines de milliers de lettres » lors de sa captivité. « C’est loin d’être une exagération. Ces mots étaient ma force, ils me donnaient de l’énergie, de la santé, des émotions. Ils me permettaient de survivre chaque jour », a-t-il expliqué.
Similairement, M. Kara-Mourza a partagé son expérience : « Vous allez peut-être trouver cela amusant (…) mais les plus de deux ans que j’ai dû passer dans la prison de Poutine ont vraiment renforcé ma confiance en notre peuple en Russie. Chaque jour, je recevais un déluge de lettres venues de partout dans le pays, de lieux que je n’avais jamais visités, de lieux dont je n’avais même jamais entendu parler, des personnes qui écrivaient des messages de soutien, de solidarité, qui n’avaient pas peur de déclarer ouvertement leur opposition à cette guerre » en Ukraine.
Ils ont été expulsés contre leur volonté et ont reçu des menaces s’ils décidaient de revenir.
Ilia Iachine a révélé dès son entrée en prison qu’il n’était pas disposé à prendre part à des échanges, affirmant que sa patrie était la Russie. Sa priorité était de retrourner à son domicile, c’est pourquoi son premier désir était d’acheter un billet et de s’envoler immédiatement vers la Russie, a-t-il expliqué. Cependant, un officier du FSB l’a averti qu’il risquait de partager le même sort qu’Alexei Navalny, mort en détention, s’il rentrait en Russie. Iachine a également affirmé que d’autres détenus, aux prises avec des problèmes de santé, auraient dû être échangés avant lui.
Il a exprimé ses incertitudes concernant sa participation à l’avenir politique russe en étant à l’étranger, mais il est déterminé à aider dans un premier temps ceux qui sont restés en Russie. Iachine a noté que le FSB a laissé entendre qu’il pourrait être tué s’il continue son activisme.
S’adressant à la situation des concessions acceptées par les pays occidentaux, il a souligné la dangerosité de tels compromis, citant le cas de l’Allemagne qui a libéré Vadim Krassikov, un agent du FSB, malgré sa condamnation à perpétuité pour l’assassinat d’un ancien leader séparatiste tchétchène en 2019 à Berlin. À son avis, l’échange a libéré un meurtrier au prix de la liberté d’une quinzaine d’innocents, et cela, selon lui, encourage strictement Poutine à prendre d’autres otages. Il a conclu en soulignant que le fait qu’Alexei Navalny ne soit pas parmi eux est un crime commis par Vladimir Poutine, qui est directement responsable de sa mort.
Ilia Iachine a fait une blague sur sa libération, en déclarant qu’il ne possédait aucun document d’identification valide et que les douaniers allemands ont réussi à l’identifier en entrant son nom dans un moteur de recherche. Il a déclaré que son identité est représentée par sa moustache et sa barbe.
Durant son libération, Vladimir Kara-Mourza a souligné qu’il a été pris en photo devant le mur des toilettes de la prison pour son certificat de libération. Le premier coup de téléphone qu’il a reçu à sa libération est venu du président américain, Joe Biden.
Kara-Mourza a insisté sur le fait que son objectif était de « rappeler aux habitants des nations démocratiques que la Russie et Poutine sont deux entités distinctes. Selon lui, les sanctions imposées par l’Occident devraient être mieux ajustées et ciblées contre le régime de Poutine plutôt que contre les citoyens russes ordinaires, simplement parce qu’ils sont russes.