La perspective donne le vertige. L’océan présente une teinte bleu éblouissante. De nombreux nageurs s’amassent le long de la courbe de la plage de Cala Tonnarella dell’Uzzo, une portion magnifique de la côte sicilienne. Il n’y a pas d’ombre de parasols car nous sommes dans une zone protégée. Les gestionnaires les ont interdits, permettant au soleil de réguler le nombre de visiteurs – 250 000 par an, dont presque la moitié en juillet et août. Combien d’entre eux connaissent l’origine de ce paradis, élu en 2023 comme la dixième plus belle plage de l’Europe par le site European Best Destinations ? Le parc naturel du Zingaro est le résultat d’une bataille, gagnée en 1981 contre de puissants intérêts sur une Sicile qui était sous l’emprise de la Mafia et de l’urbanisation sauvage. Ce succès inattendu a empêché la construction d’une route et a permis la conservation de sept kilomètres de côtes et de 1 600 hectares de broussailles.
« Je ne sais pas comment ils ont réussi, mais c’est une bonne chose! », se réjouit Marta Alessi, 33 ans. Cette anesthésiste a respecté la règle tacite locale : arriver tôt le matin, laisser sa voiture à l’entrée, payer les 5 euros de frais d’entrée, descendre le chemin menant à l’une des sept criques, prier la Madone pour qu’il reste un espace de galets où déposer sa serviette… Derrière les plages, un paysage montagneux couvert de buissons et de cactus domine, le territoire d’un rapace rare, l’aigle de Bonelli. Le Zingaro, qui signifie « gitan » en italien, est également le refuge du palmier nain, une espèce endémique capable de résister aux feux d’été.
Un voile de rumeur enveloppe les raisons de ces incendies d’été, exacerbés par le changement climatique. Pietro Miceli, le directeur de la réserve, n’est pas très communicatif sur ce sujet, ou sur d’autres d’ailleurs. L’origine des feux ? « Je ne suis pas en mesure de les définir » répond-il. Quant au budget du Zingaro, principalement alloué aux salaires des cinquante employés ? « C’est approximativement un million d’euros par an, mais cela fluctue. » En sortant de son bureau, orné par un portrait du président de la République Sergio Mattarella (un natif de la région), on ressent un sentiment d’inachèvement.
L’incomplétude est une caractéristique typique de l’île, que les habitants désignent par « l’incompiuto siciliano » (l’inachevé sicilien), illustrant la difficulté à finaliser des choses, des dialogues aux constructions. À l’image de cette route, dont l’avancement a été mis en pause brusquement le 18 mai 1980, à l’entrée du Zingaro, à la suite d’une marche de protestation mobilisant 3000 manifestants. Sans cette action, deux villes adjacentes à la réserve, Castellammare del Golfo au sud et San Vito Lo Capo au nord, abritant respectivement 15 000 et 5 000 résidents, auraient été connectées.
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