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« Sonko ravive mémoire négligée au Sénégal »

Ousmane Sonko, de simple opposant à Premier ministre, a maintenu son flair polemique et sa vivacité d’esprit intactes. Quand il s’est exprimé en tant que leader de son parti, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), son post sur le réseau social X, le 28 juillet, a ravivé la controverse sur le massacre de Thiaroye en 1944. En réponse à la décision de Paris de désigner comme « Morts pour la France », six tirailleurs exécutés sur les ordres des officiers de l’armée française, le chef du gouvernement a clairement dit à la France qu’elle ne peut plus « seule faire ni narrer ce pan d’histoire tragique ». Il a ajouté: « Ce n’est pas à elle [la France] de déterminer de manière unilatérale le nombre d’Africains trahis et tués après avoir aidé à sa libération, ni la nature ni l’étendue de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent ».

Cette déclaration a rapidement déclenché une polémique à Dakar. Le débat a été enflammé sur les réseaux sociaux, à la radio et dans la presse quotidienne par les historiens et politiciens, parfois avec une grande animosité, sur les propos d’Ousmane Sonko. Alors que Mbaye Thiam, professeur d’histoire à l’Université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar, a qualifié la controverse d' »inutile » sur la radio Emedia, Mamadou Koné, professeur d’histoire et conseiller au Musée des forces armées, estime que les propos du premier ministre reflètent « ce que les Sénégalais, en particulier les jeunes, pensent ».

Selon un membre anonyme de l’Alliance pour la République (APR), le parti de l’ancien président Macky Sall, il est indéniable que Ousmane Sonko a exprimé une émotion commune. Le choix de six tirailleurs parmi de nombreux morts dont on ne sait presque rien est dérangeant. Bien que certains critiquent son discours comme étant populiste, peut-on dire que c’est faux ? Même s’il représente une opposition politique, Sonko initie un débat important. Pour lui, cette question représente davantage les relations entre la France et le Sénégal, tel que le souligne le message du Premier ministre, mais aussi l’importance de la préservation de « notre mémoire en tant que Sénégalais ».

« Le Sénégal a abandonné la question »
Le Professeur Koné a déjà plaidé pour l’exécution de fouilles approfondies sur le site de Thiaroye afin de déterminer précisément combien de soldats demandant leur salaire ont été exécutés le 1er décembre 1944. La France a officiellement reconnu trente-cinq morts, mais plusieurs historiens pensent que ce nombre pourrait être multiplié par dix. Mamadou Koné espère que « les nouvelles autorités lanceront des recherches sérieuses ».

En 2004, une première journée de commémoration en l’honneur des tirailleurs avait été organisée par l’ex-président Abdoulaye Wade, où l’on se rappelait principalement de la tragédie de 1944. Toutefois, certains estiment que le travail de mémoire n’a pas été suffisamment réalisé sous Macky Sall. Le Sénégal a longtemps négligé son passé colonial, et il est temps de s’attaquer à ce travail, affirme un membre de l’APR.

Afin de respecter les victimes, le président Bassirou Diomaye Faye a décidé de mettre en place un comité dédié à la commémoration des 80 ans de ce massacre. Il est possible que le chef de l’Etat se joigne lui-même à cet événement, ce qu’il ne fait pas habituellement, selon un membre de l’armée impliqué dans son organisation. La participation des délégations d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, d’où provenaient les tirailleurs, est également envisagée.

En réponse aux commentaires d’Ousmane Sonko, l’attitude des nouvelles autorités sénégalaises est attendue. « Ils doivent agir, prévient un militant de Pastef. On pourrait envisager de réviser les manuels scolaires, de mener des fouilles, de publier…  » À l’intérieur du parti, la commission panafricanisme travaille sur un texte consacré à Thiaroye, qui serait distribué à ses membres pour les aider à mieux comprendre la question.

Un des membres, Tamsir Bathily, qui est présentement partie prenante dans les opérations de Pastef en France, invite également le gouvernement sénégalais à prêter attention à sa diaspora: « Il existe diverses célébrations orchestrées par la communauté sénégalaise en France pour honorer les tirailleurs, cependant, le soutien de l’État est soit inexistant soit minimisé. La jeune génération de la diaspora requiert pourtant que cette histoire soit préservée. »
En réponse aux remarques d’Ousmane Sonko à propos de X, le secrétariat d’État français en charge des vétérans et de la mémoire a, via un courriel envoyé au journal Le Monde mercredi, justifié la décision d’attribuer la désignation « Mort pour la France » uniquement à six soldats puisque ce sont « des individus qui ont été identifiés nominativement […] dont les fichiers conservés par le Service historique de la défense indiquent qu’ils ont perdu la vie lors du massacre de Thiaroye. L’autorité française a également signalé que « l’assignation de cette désignation n’est pas censée être limitée à ces six premiers tirailleurs ».
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