Le prestigieux Abbé Pierre a connu une deuxième chute, cette fois pour des actes privés révélés par le rapport du cabinet Egaé, qui se sont déroulés entre la fin des années 1970 et 2005, après la première qui était d’ordre politique liée à l’affaire Roger Garaudy, un écrivain et homme politique français décédé en 2012 à l’âge de 99 ans, qui avait toujours bénéficié de l’amitié et du soutien de l’Abbé Pierre malgré sa condamnation pour négationnisme.
Le décès de l’Abbé Pierre en 2007, désormais dans le passé, l’outrage des agressions sexuelles perpétrées par des prêtres sur des jeunes au sein de l’Eglise catholique et l’ampleur du mouvement #metoo ont favorisé la libération de la parole des victimes.
Il est essentiel de discerner les deux phases importantes de la vie médiatique de l’Abbé Pierre : celle qui a suivi l’appel de 1954 et les années marquées par les événements des années 1980 et 1990.
Après le succès retentissant de l’appel, l’ex-résistant et ancien député (1945-1951) est devenu une icône, un prophète de notre époque, redéfinissant l’image du prêtre engagé au moment de la condamnation des prêtres ouvriers par Rome. De nombreuses mains l’approchaient comme s’il était un totem aux capacités mystiques. Des femmes étaient éblouies par lui et tombaient en transe en sa présence. Il ressentait de plus en plus de difficulté à contenir les « tentations », selon ce que Gérard Marin et Roland Bonnet ont rapporté en 1969 dans leur livre, La Grande Aventure d’Emmaüs (Grasset). Dès février 1954, « des femmes traquaient le père » et son entourage, dont sa secrétaire Lucie Coutaz, s’épuisait à essayer de le surveiller et de contrôler ses mouvements pour le protéger de lui-même, a écrit Pierre Lunel dans son livre L’Abbé Pierre. L’insurgé de Dieu (Stock, 1989)
Quant aux « tentations », ceux qui étaient au courant n’ont jamais voulu en donner de détails. Cependant, lorsqu’ils étaient interrogés (l’auteure de ce texte a réalisé une série d’entretiens en 2005 et en 2006, publiés en partie dans un livre, Emmaüs et l’abbé Pierre, aux Presses de Sciences Po en 2009), ils montraient des signes de détresse (certains ont même éclaté en sanglots), exprimaient des mots très durs envers l’abbé et ressentaient une profonde déception. Il se pourrait qu’il s’agisse plutôt de caresses ou de relations sexuelles consenties – la frontière du consentement est cependant difficile à définir face à une icône.
Dans les années 1950, personne n’a osé lever la voix de crainte d’un potin honteux. A Emmaüs, un groupe restreint s’est employé fervemment pour préserver l’institution encore naissante. L’église, qui jouissait d’un regain d’image et de popularité grâce à ce prêtre, a décidé, fin 1957, avec l’implication active de la direction d’Emmaüs, de délocaliser le prêtre vers une clinique psychiatrique en Suisse, comme en attestent plusieurs correspondances préservées dans les archives de l’association Emmaüs, aujourd’hui Emmaüs Solidarité. Le prêtre a été hospitalisé durant plus de six mois et à son retour, il n’a plus jamais dirigé aucune structure Emmaüs. Le ministère de l’intérieur et certains journalistes étaient également au courant, comme l’a révélé Pierre Lunel, mais l’image publique du prêtre était plus utile si elle restait intacte. Cet article n’est pas terminé, il reste 48,98% à lire, exclusivement réservé aux abonnés.
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