La montée des mouvements d’extrême droite, profitant d’un déficit démocratique croissant dans les modes de gouvernement occidentaux, a été un phénomène que j’ai pu observer en tant que professeur universitaire au Brésil jusqu’à leur accession au pouvoir en 2018. Malgré nos efforts pour défendre l’éducation et la recherche, nous avons échoué dans notre communication. Notre groupe Facebook, qui rassemble des centaines de professeurs, n’a pas réussi à faire comprendre le rôle crucial des universités pour deux raisons principales.
D’une part, l’extrême droite, grâce à son utilisation méthodique des réseaux sociaux, parvenait à brouiller nos arguments logiquement construits. D’autre part, nous avons réalisé que pendant que nous luttions dans l’arène des idées, l’extrême droite gagnait du terrain en manipulant les émotions, un aspect pourtant souligné par la philosophie politique, comme le montre l’ouvrage de Vladimir Safatle « Circuit des affects: Corps politique, détresse et la fin de l’individu » (Le Bord de l’eau, 2022).
Aujourd’hui, il semble que les intellectuels français répètent les mêmes fautes. C’est un peu désolant, voire presque comique, d’observer à la télévision des spécialistes et des analystes politiques renommés qui minimisent l’influence des plates-formes de réseaux sociaux dans l’orientation du choix politique. Non, ces plateformes ne sont pas seulement accessibles aux jeunes et ne possèdent pas qu’un impact négligeable sur les résultats des élections. Elles s’apparentent plutôt à une puissante arme destructrice sur le plan politique. Les réseaux sociaux modifient la structure de l’information, subvertissent l’approche de la vérité et accordent une visibilité à des acteurs politiques préalablement négligés par l’élite (Selon Daniel Lacerda et Rita de Cassia Santos, « The Role of Social Network Platforms for Discursive Legitimation : Unveiling Neoliberalism Behind the Discourse on Public Universities », M@n@gement n° 26/4, 2023, non traduit). Ainsi, des discours qui avaient été réprimés dans l’ambiance privée réapparaissent soudainement.
L’avènement du national-populisme
C’est vrai que, malgré son expansion en France, l’extrême droite n’a pas vraiment réussi à obtenir une majorité pour prendre les rênes du gouvernement. Mais la menace la plus importante ne découle pas des lois ou des réformes que cette idéologie envisagerait d’appliquer – une multitude de ces suggestions dépendent en effet de mécanismes constitutionnels qui empêcheraient un premier ministre en cohabitation de passer à l’action. Le danger véritable réside plutôt dans les effets des messages diffusés pendant cette campagne électorale, étant donné que le discours acquiert une matérialité en soi. Le fait de modeler un discours sur les réseaux sociaux est un stimulateur puissant de changement social : la conquête politique se déroule bien avant la victoire électorale.
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