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« Mort d’Haniyeh: Négociations et libération otages compromis »

Dans un communiqué diffusé mercredi matin, les gardiens de la révolution iranienne ont déclaré que le chef du Hamas avait été assassiné à Téhéran. Le Hamas a confirmé peu après la disparition de son leader, indiquant qu’un raid « sioniste » avait causé sa mort. Ismaïl Haniyeh, qui était à Téhéran pour l’inauguration du nouveau président Masoud Pezeshkian, avait rencontré l’ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême iranien, le mardi précédent.

Haniyeh, qui avait pris la tête du mouvement palestinien en 2017 et avait été réélu en août 2021, était le successeur de Khaled Mechaal, en poste depuis 1996. Depuis 2019, il vivait en exil au Qatar.

Quel impact aura l’assassinat de ce dirigeant du Hamas sur son groupe et la région du Moyen-Orient ? Xavier Guignard, un chercheur du centre de recherche indépendant Noria, a répondu à ces questions lors d’une session de questions-réponses avec les lecteurs du Monde.

En réponse à une question de Matthieu sur la certitude d’Israël comme commanditaire de l’attaque, Guignard a noté qu’Israël ne confirme généralement pas ses attaques hors de ses frontières, qu’il s’agisse de bombardements en Syrie ou d’assassinats ciblés en Iran. La frappe du 30 juillet ne fait pas exception à cette règle. Compte tenu des retombées potentielles pour Israël, notamment la menace de représailles de l’Iran et de ses alliés sur son territoire, on peut supposer qu’Israël aurait nié son implication si elle n’était pas derrière cette attaque.

Certes, l’incertitude demeure quant à la provenance du tir. L’Iran est d’avis que cela n’a pas pu être fait depuis Israël, compte tenu de la portée. Quelques analystes israéliens évoquent un tir en provenance de l’Iran. Par le passé, des opérations spéciales israéliennes ont facilité le déclenchement à distance de tirs ciblant l’Iran. Pour l’instant, c’est tout ce que l’on sait.

Thierry S demande : Quelle est la possibilité d’une généralisation du conflit et quels en sont les enjeux pour les différentes parties, en dehors des discours habituels des Iraniens et/ou Hezbollah?

Depuis le 7 octobre, la régionalisation du conflit est un fait établi. Israël a ciblé des territoires au Yémen, en Syrie, au Liban, en Egypte et en Iran. En représailles, des groupes armés basés en Syrie, en Irak, le Hezbollah, les Houthistes (Ansar Allah) et l’Iran ont bombardé ou menacé de le faire en Israël.

L’enjeu principal est le danger d’une escalade, dans ce contexte de conflit généralisé. Le Hezbollah et l’Iran ne souhaitent pas une telle escalade, principalement en raison de leur infériorité militaire par rapport à Israël. Cependant, le rétablissement des lignes de dissuasion, la sauvegarde de la souveraineté territoriale de ces États et les erreurs de jugement rapprochent chaque jour du gouffre et d’un déclenchement d’une offensive ouverte et à grande échelle.

Certains membres de la scène politique et du dispositif de sécurité israélien considèrent que la menace réelle qu’ils subissent ne vient pas du Hamas, mais de la présence du Hezbollah à leur frontière septentrionale. Ils n’écartent pas la possibilité d’une opération de grande envergure au Liban, même si cela risque de provoquer une guerre régionale, que leurs alliés, notamment les États-Unis, s’efforcent d’éviter.

En ce qui concerne la paix, on se demande si une guerre totale entre l’Iran et Israël pourrait entraîner le conflit au-delà du Moyen-Orient, en raison d’éventuelles alliances. Dans un récent discours, Hassan Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah, a menacé Chypre, où des exercices militaires ont lieu en partenariat avec Israël dû à leur topographie similaire à celle du sud du Liban. Bien qu’elle semble écartée, cette menace pourrait créer un grave risque de conflit généralisé, principalement pour l’Europe.

L’Iran pourrait se plier aux demandes russes pour fournir certains types d’armes, y compris des drones, dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine. Les deux factions (Israël d’un côté, l’Iran et le Hezbollah de l’autre) affirment que ce conflit se déroule pour ou avec le soutien de l’Occident. Par ailleurs, je ne vois pas comment des alliances (Russie, Chine, Inde) pourraient modifier le déroulement de la guerre, bien que cela peut entraîner des conséquences significatives sur le paysage politique.

Avec qui Israël devra-t-il négocier maintenant pour libérer les otages et instaurer un cessez-le-feu à Gaza, et peut-on toujours espérer que des pourparlers réussissent ?

Les familles des otages en Israël se sont préoccupées en premier lieu, et cela à raison, des conséquences possibles. Les pourparlers progressaient à un rythme très lent, mais suite à la mort d’un des principaux négociateurs du Hamas, elles risquent de se retrouver complètement bloquées. Le Qatar a exprimé sa position sans équivoque par l’intermédiaire de son ministre des relations extérieures : si un groupe en tue un autre, quel est l’intérêt de mener des médiations ?

La libération des otages n’apparaît manifestement pas comme une priorité pour le gouvernement israélien, bien qu’elle puisse découler de négociations, comme nous avons pu le voir en novembre dernier. Cela dit, le Hamas reste le seul partenaire valable si Israël souhaite leur libération, et c’est avec ses nouveaux représentants qu’un accord devra être trouvé tôt ou tard.

Impunité : Qu’en est-il du droit international ? Est-il permis d’exécuter sans retenue, dans un pays souverain, un personnage politique avec qui on est supposé négocier une trêve, tout en affirmant vouloir continuer les négociations ?

Cette question a deux aspects. Notre collègue Amélie Ferey a étudié en profondeur les doctrines d’assassinats ciblés en Israël, et ses recherches démontrent l’effort consenti pour donner une apparence de légitimité. Cependant, cet assassinat a un triple coût politique.

En effet, l’Iran subit une violation de sa souveraineté et cela pourrait provoquer une réaction militaire de sa part, qu’elle soit légitime ou non. Les tentatives de négociation pour un cessez-le-feu et la libération des otages sont en danger, pendant que la stratégie d’Israël expose les leaders politiques du Hamas, pas seulement les militaires, comme cibles potentielles. Au vu de ces éléments, on peut se demander si le gouvernement de guerre israélien veut vraiment la réussite de ces négociations, qu’il semble sans cesse saboter.

Alix A demande pourquoi l’élimination d’un leader terroriste, similaire à celle de Ben Laden, n’est pas appréciée par tous les occidentaux, y compris l’ONU ?

Le Hamas est classé parmi les groupes terroristes par l’Union Européenne et les États-Unis, mais certains pays voisins maintiennent des relations avec le mouvement. C’est le cas de la Suisse et la Norvège. Le manque d’accord concernant l’étiquetage du Hamas en général vient du fait qu’il s’agit à la fois d’un groupe armé, coupable de crimes de guerre, d’un mouvement politique représenté dans le parlement palestinien et de l’entité qui administre un territoire occupé, la bande de Gaza.

Ismaïl Haniyeh était un intermédiaire direct ou indirect pour de nombreuses capitales, mais pas le cerveau des attaques du 7 octobre. Les prises de position des différentes diplomates sont toujours en attente, mais la possibilité d’une inflammation de la région explique probablement l’accueil tiède réservé à cette action attribuée à Israël.

Dierx: La population israélienne croit-elle réellement que l’éradication de hauts responsables du Hamas peut freiner toute forme de résistance politique ou terroriste à l’occupation entérinée par la CIJ (jugement du 19 juillet 2024) ?
L’opinion publique en Israël est fragmentée. Un segment de la population voit cela comme un triomphe, dans un conflit qui est à court de succès perceptibles et clairs. Cet assassinat fait partie d’une longue histoire de prise pour cible des leaders palestiniens (islamistes, nationalistes ou de gauche), bien que leur perte n’ait pas eu de conséquence sur la critique populaire de l’occupation. D’autre part, des commanders de la sécurité, certains secteurs des mouvements sociaux récents et notamment des familles d’otages, y voient plutôt une menace immédiate en termes de négociation pour une solution au conflit.
Paulette Dupont: Y a-t-il un risque de représailles iraniennes à l’étranger contre des intérêts ou des citoyens israéliens, ou même des bi-nationaux ne vivant plus en Israël ?
Contrairement au Hamas, le Hezbollah et l’Iran ont déjà exécuté des opérations internationales ciblant des intérêts jugés israéliens. Parmi les options possibles, le ciblage de personnalités importantes (ambassadeurs, leaders) à l’étranger est une alternative crédible. Le ciblage de civils (nationaux ou bi-nationaux) est moins plausible, si l’on se fie aux affirmations iraniennes qui, à ce stade, excluent toute réaction qui ne serait pas dirigée vers des cibles militaires ou politiques. L’interrogation reste toujours d’accorder du crédit à ces affirmations.

En utilisant une approche visant à renforcer la dissuasion iranienne, il est logique de croire que les cibles civiles devraient être exclues, car cela n’engendrerait qu’une condamnation incontestable et la démonstration d’une faiblesse opérationnelle relative.
Un historien et géographe se demande s’il reste des modérés au sein du Hamas et si cet assassinat pourrait fortifier ceux qui prônent la violence.
Le Hamas a des dirigeants élus lors de ses congrès. Ismaïl Haniyeh pourrait être temporairement remplacé par un membre du bureau politique, avec des noms tels que Khaled Meshaal, Moussa Abou Marzouk et Khalil Al-Hayya étant mentionnés. Dans les mois à venir, un vote pourrait confirmer ce mandat temporaire ou renouveler la direction. Bien qu’il y ait clairement des divergences au sein du parti sur divers sujets, comme la stratégie politique et militaire, c’est une idée audacieuse de penser qu’un schisme pourrait survenir à la suite de l’assassinat de Haniyeh.
Les dirigeants du Hamas sont conscients des menaces qui pèsent sur eux: Cheikh Ahmad Yassine a été assassiné, et Haniyeh et Meshaal ont déjà été ciblés par le passé. La question du rapport de forces entre les partisans d’une solution politique et ceux qui sont engagés dans un conflit militaire avec Israël ne sera pas perturbée par la mort de Haniyeh.
Le manque de perspective politique, la décision explicite d’Israël de s’opposer à tout État palestinien, et le renforcement de l’autorité du gouvernement de Mahmoud Abbas sont des facteurs beaucoup plus importants pour comprendre la « radicalisation » actuelle au sein du Hamas et en général.

« PauloDeCharvo : Pouvez-vous rapidement nous renseigner sur le rôle de la Jordanie, qui semble souvent être en marge des discussions, dans ce climat de tension croissante dans la région ?
La vision d’une normalisation progressive avec Israël a cédé la place à la réalité d’une polarisation agressive et d’un intensification des conflits régionaux.
Dans ces conditions, la Jordanie est contrainte de gérer un certain nombre de fragilités majeures : l’économie du tourisme a été complètement détruite depuis octobre, l’augmentation des critiques de sa population (partiellement d’origine palestinienne, mais aussi de partis islamistes et de certaines tribus du sud du pays), et l’Iran a critiqué son rôle de soutien dans la défense d’Israël. Sur ce dernier point, bien que la Jordanie n’ait choisi de communiquer que sur la protection de son espace aérien, il est évident que les avions israéliens et américains ont utilisé l’espace aérien jordanien.
La survie du royaume à court terme dépend de son alliance et de son alignement avec les États-Unis. Cependant, à moyen terme, les pressions internes et régionales, ainsi que la détérioration de ses relations avec Israël, pourraient pousser la monarchie hachémite à renforcer son assise régionale plutôt que de se positionner comme un supplétif des États-Unis.
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