En date du 25 juillet 2024, Paris
Chers amis de la lecture,
Le 7 juillet, ma mère est venue nous rejoindre, mon enfant et moi, pour un voyage dans le sud de la France. Nous avons dû rapidement faire nos bagages puisqu’elle nous suivait dans notre tournée de lectures musicales, mettant en valeur notre journal de guerre. Sur la scène, deux actrices lisaient des passages de notre journal de guerre, que Sasha et moi avons compilé pour le magazine M Le Monde depuis le 24 février 2022. Un musicien les accompagnait tandis que j’interprétais des poèmes en ukrainien.
Nous avons donné sept représentations consécutives lors du Festival « off » d’Avignon, qui s’est terminé le 21 juillet. Ce fut une expérience marquante et inoubliable. Bien que je sois honorée d’avoir l’opportunité de décrire notre lutte contre l’ennemi, notre guerre nationale et personnelle, il a été ardu de me voir là-bas, en tant que spectatrice de ma propre vie. Eviter de regarder le spectacle pour me détacher était une nécessité. La fin de la représentation a été encore plus difficile, lorsque Sasha apparaissait sur la vidéo. La voir sur un écran sans pouvoir la tenir près de moi, sans pouvoir partager sa maternité, fut douloureux.
La mise en scène de mon existence et celle de ma famille en Ukraine, y compris ma mère, Sasha, mon père, ma grand-mère, ma tante et tous mes amis, a été éprouvante. L’horreur de la guerre est bien réelle et n’est pas une simple performance. Je méprise la guerre et ces rachistes [mélange de « russes » et « fascistes »] qui ont apporté la mort, la souffrance et la séparation des familles.
En revenant à Paris, je me trouve dans un état d’épuisement. Malgré ma vie paisible, je ne souhaite pas me lamenter. Néanmoins, chaque jour au réveil, j’allume les informations et je suis accablée par les nouvelles de bombardements, des hôpitaux, des maternités, des usines, de Kyïv [Kiev en ukrainien], Mykolaïv, Donetsk, des victimes à n’en plus finir. Et il y a également Gaza, Israël, le Yémen… Tout semble aller mal pour l’humanité. Aujourd’hui, même la hausse du tarif des billets de métro pour les Jeux olympiques m’a dérangée, sans mentionner la participation d’athlètes russes aux Jeux, bien qu’ils soient sous une bannière neutre.
Lors de mon séjour dans le sud, j’ai consacré beaucoup de temps à ma mère. J’ai cherché à comprendre son état d’esprit, comment elle gérait cette guerre interminable, cette rupture avec la Russie [Olga et Sasha ont décidé de ne pas mettre de majuscule à « russe » et « Russie »], un pays qu’elle connaît intimement pour y avoir été éduquée de manière soviétique, effectuant pendant des années des voyages quasi hebdomadaires là-bas. C’était difficile de communiquer avec elle. Lors d’une de nos discussions, elle m’a révélé qu’à l’université, dans les années 1980, ils devaient tous mémoriser un manuel d’histoire du Parti communiste de 5 centimètres d’épaisseur. « Peux-tu imaginer ? », m’a-t-elle demandé.
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