Annie Le Brun, une figure emblématique de la révolte éthique et esthétique, nous a quittés brusquement le lundi 29 juillet, en Croatie, à l’âge de 81 ans. Sa philosophie a toujours consisté en un rejet radical du mondialisme conventionnel, propageant une déstabilisation constante des repères intellectuels, moraux et politiques, induite par le désir irrépressible en nous. Si l’on cherche un héritier authentique du surréalisme, dont la naissance symbolique peut être attribuée au Manifeste d’André Breton en 1924, mais qui par essence est collectif, contestataire et inaliénable, c’est en Annie que l’on le trouve, d’une manière fidèle et exigente.
La vie d’Annie Le Brun demeure en grande partie mystérieuse. Elle restait discrète sur tous les sujets non liés à la littérature ou à la pensée. Cependant, quelques détails de sa vie sont connus. Née à Rennes le 15 août 1942, elle découvre à l’âge de 7 ans le « formidable image » (comme Aragon l’a décrit) dans une édition illustrée de La Belle au bois dormant, comme elle le raconte dans La Vitesse de l’ombre (Flammarion, 2023). Après avoir consacré une thèse au roman noir, ou « gothique » comme le disent les anglais, tel que Le Moine (1796) de Matthew Gregory Lewis, elle croise le chemin d’André Breton en 1963 et se joint au groupe surréaliste jusqu’à sa dissolution volontaire en 1969.
Annie Le Brun a fait la connaissance de Radovan Ivsic (1921-2009), un écrivain et dramaturge croate qui avait quitté son pays pour des motifs politiques, avec qui elle partage sa vie depuis lors. De même, elle a rencontré l’artiste tchèque Toyen (1902-1980), à qui elle dédiera une grande exposition au Musée d’Art Moderne de Paris en 2022, intitulée « Toyen, l’écart absolu ». Le Brun, qui n’a pas choisi de suivre une carrière d’enseignante, gagne sa vie en travaillant comme correctrice pour l’impression ou la préparation de textes; elle a également catalogué les œuvres inédites de Raymond Roussel pour la Bibliothèque Nationale de France. Les années 1970 ont constitué une période axée sur la poésie pour elle, et son volume de poésie compilée, Ombre pour ombre (2004), a récemment été réédité dans la collection « Poésie/Gallimard ».
Cependant, en 1977, sa colère l’a emporté sur sa poésie. Dans son livre Lâchez tout (Le Sagittaire), elle critique vivement les « néoféministes » qu’elle accuse « d’usurper le droit de parler au nom de toutes les femmes ». C’est contre les « staliniennes en jupons» qu’elle remet en question lors d’une émission d’Apostrophes (10 février 1978), où elle fait face à Gisèle Halimi. Selon Le Brun, le danger réside dans le fait que « pour s’unir, il faut se ressembler », soit se soumettre à une forme de « corporatisme sexuel ». Elle estime également que la libération va souvent de pair avec la censure, imposée aux œuvres les plus radicales, ou avec la « création planifiée », qui suit les normes du groupe autoproclamé. Le reste de cet article est réservé aux abonnés.
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