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1 août 2024 8 h 13 min

« Accueil des riches et pauvres à Lampedusa »

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L’océan se pare de bleu tandis que les parasols se teintent de jaune. Gasparino Norelli, son épiderme décoloré comme du cuir, officie en tant que plagiste à Lampedusa, vêtu de son maillot de bain et de ses claquettes. Il nous remet un dépliant faisant l’éloge de ses services de plage à Guitgia, promettant « divertissement » et « détente » tout en faisant face à la splendeur naturelle de ce fragment de calcaire émergeant en Méditerranée, plus près des côtes tunisiennes que de la Sicile.

Autrefois, Lampedusa servait de point de relais pour les marins arabes et européens, et fut une colonie l’ancien royaume de Naples. Mais c’est le tir de missiles libyens en 1986 qui a sorti l’île de son sommeil. Depuis les révolutions arabes de 2011, elle est surtout connue comme symbole d’immigration clandestine. Toutefois, alors qu’elle sert de halte pour les exilés prêts à risquer leur vie pour atteindre ce confetti d’Europe ancré sur la plaque tectonique africaine, ses eaux émeraude attirent un nombre croissant de touristes. Leur curiosité est piquée par cet endroit qui fait sauter les manchettes en cas d’arrivées en masse ou de tragédies maritimes.

Depuis les chaises longues de Gasparino, les vacanciers peuvent aisément observer les navires de secours transportant des rescapés vers le quai. Toutefois, ils n’assisteront ni à leur débarquement ni à leur transfert en bus vers un camp de rétention situé à l’intérieur des terres. Quant à cette réalité souvent tragique, le dépliant de Gasparino parle d' »un extraordinaire accueil et solidarité » associés à une atmosphère d' »inclusion ». Quel est le nombre de touristes qui se sont laissés convaincre par ces arguments ? Il est évalué à 250 000 par an, pour un peu plus de 6 000 résidents, sur une superficie d’à peine 20 kilomètres carrés. « Nous sommes le peuple le plus hospitalier de l’histoire de l’humanité », ajoute Filippo Pucillo. Ce Lampedusien, employé de Gasparino, a joué dans quatre films d’Emanuele Crialese, dont Terraferma (2011) qui raconte l’histoire d’une Africaine échouée sur une île envahie par les touristes.

Pendant le tournage, Giuseppe Del Volgo, un « fixeur », leur a apporté son aide, tout comme il a aidé le documentariste Gianfranco Rosi lors de son tournage de Fuocoammare (2016), un film se focalisant sur la vie des insulaires sous l’ombre d’une mer meurtrière. « Au bout du compte, le phénomène migratoire est bien géré », affirme avec satisfaction Del Volgo, qui nous accueille dans son hébergement touristique.

C’est donc le « spectacle de la frontière ».

Le sociologue Paolo Cuttita décrit l’accumulation de forces de l’ordre, travailleurs humanitaires, migrants et journalistes en un lieu particulièrement réduit comme du « théâtre frontalier ». À Lampedusa, cette mise en scène dramatique met en avant deux récits simultanés: l’un de répression, l’autre d’accueil. Des personnalités importantes comme le pape François, qui a défendu les droits des migrants, et Matteo Salvini, activiste politique de droite qui a combattu une prétendue « invasion migratoire », ont fait partie de ce spectacle. Même l’ancien premier ministre Silvio Berlusconi y a participé, en acquérant une villa sur l’île en 2011. La présence de Giorgia Meloni, politique populiste, a également marqué les esprits, en attirant la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Lampedusa. Tout cela transforme cette île à l’orographie plane en une véritable scène de théâtre, avec ses héros et ses vilains intrinsèques. L’histoire continue, mais seuls les abonnés peuvent en détenir le restant, qui est de 71.5%.