Paris aurait préféré ne pas avoir à faire face à cette révélation. Un article du Monde, publié le samedi 27 juillet, a divulgué que six honneurs posthumes de « Mort pour la France » ont été attribués à des tirailleurs africains tués sur ordre de l’armée française à Thiaroye, au Sénégal, en 1944. Suite à cela, Ousmane Sonko a vivement critiqué l’ancienne puissance coloniale.
Il a affirmé sur ses réseaux sociaux, lundi, en sa qualité de chef de parti et non de premier ministre, que la France ne peut plus raconter ni établir seule cette partie dramatique de l’histoire. Elle n’a pas le droit de déterminer à elle seule combien d’Africains ont été trahis et tués après avoir aidé à la sauver, ni la nature et l’étendue de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. Il a ensuite exhorté le gouvernement français à revoir ses pratiques, insistant sur le fait que les temps ont changé.
Le secrétariat d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire a défendu, dans un courrier électronique envoyé au Monde le mercredi 31 juillet, la décision d’accorder le titre honorifique à ces quelques soldats. Ils ont été identifiés par leur nom et leur dossier, en possession du Service historique de la défense, indique qu’ils sont morts suite au massacre de Thiaroye. Le secrétariat d’État a expliqué que « l’honneur accordé ne se limite pas à ces six premiers tirailleurs » et qu’il pourrait être étendu à d’autres « tirailleurs tués le 1er décembre [1944] ou décédés plus tard à cause de leurs blessures ».
A 86 ans, Biram Senghor, le descendant de M’Bap Senghor, obtient une forme de validation en tant qu' »orphelin de guerre », avec la possibilité de solliciter le statut de pupille de la nation, selon les termes du secrétariat d’Etat. Il avait tenté sans succès en 1972. Il reste incertain sur l’option d’une aide financière, qu’il espère.
Le sujet du massacre colonial de Thiaroye, souvent décrit comme une « réaction » à une « rébellion armée », est longtemps resté discret entre la France et le Sénégal. François Hollande, lors de sa visite au Sénégal en 2014, avait promis de restituer les archives militaires. Bien que Dakar ait apprécié ce geste initial, cela n’a pas permis d’éclairer la tuerie du 1er décembre 1944. Des dizaines de tirailleurs, dont on estime qu’ils pourraient être dix fois plus nombreux que les 35 officiellement reconnus, réclamant leur paye ont été abattus à la mitrailleuse, sur ordre du commandement français. De nombreux documents restent cependant indisponibles aux historiens.
Ousmane Sonko, pour la seconde fois depuis son ascension au pouvoir, critique les positions françaises à l’égard du Sénégal. En mai, lors de la visite de Jean-Luc Mélenchon, il avait reproché à Emmanuel Macron d’avoir appuyé la répression des manifestations de l’opposition sous l’ex-président Macky Sall, qui avaient entraîné la mort d’une soixantaine de personnes entre 2021 et 2023, incitant ainsi à la « persécution » de ses soutiens.
La première inculpation avait indisposé les dirigeants français, cependant, ils avaient choisi de ne pas riposter publiquement. Une nouvelle accusation n’exige pas non plus de réplique, selon une source proche de l’Elysée. « Ousmane Sonko ne parle pas en qualité de leader du gouvernement, mais en tant que président de son parti. Ce serait une erreur politique de répondre » affirme une personne familière avec les dossiers de la mémoire, qui se dit « surprise » par les remontrances d’Ousmane Sonko. Selon cette dernière, « la décision d’attribuer ces mentions était connue à Dakar ».
Depuis plus d’un an, l’Elysée envisage de reconnaître le massacre de Thiaroye. « En avril 2023, le ministère des armées m’a informé que certaines victimes recevraient la mention ‘Mort pour la France’. C’était officiel », témoigne l’historienne Armelle Mabon, qui travaille depuis plus de dix ans à démanteler ce qu’elle nomme un ‘mensonge d’Etat’.
Le processus s’est accéléré suite à l’installation à la tête du pays du président Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, en avril. Élu avec un programme panafricaniste et proclamant une ‘rupture’ dans les relations avec la France, le duo de leaders veut faire de Thiaroye un symbole de leur politique. Lors de son mandat en tant que maire de Ziguinchor (2022-2024), Ousmane Sonko avait tenté, sans succès, de renommer certaines rues de la ville portant des noms français en honneur des tirailleurs africains.
« Un besoin de vérité » est ressenti.
Tandis que Paris s’efforce de maintenir ses liens avec Dakar, un acte de reconnaissance historique serait bénéfique pour les deux parties. Les experts sur le sujet encouragent vivement le gouvernement français à le faire. Avant la première rencontre entre Emmanuel Macron et son homologue sénégalais le 20 juin à l’Elysée, Aïssata Seck, la conseillère régionale socialiste d’Ile-de-France et présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, a rédigé une note pour le président français, suggérant l’attribution de la mention « Mort pour la France ». « Des actions significatives sont nécessaires pour progresser sur ce sujet », a-t-elle déclaré.
Le 18 juin, cela est accompli et deux jours plus tard, Emmanuel Macron aborde la question avec Bassirou Diomaye Faye. Selon diverses sources, cette avancée devait être annoncée le 15 août, lors des cérémonies commémoratives du débarquement en Provence des soldats des colonies, où Bassirou Diomaye Faye doit se rendre. Cependant, la divulgation de cette information par Armelle Mabon sur son blog le 11 juillet – l’historienne venait de la recevoir du ministère des armées – a modifié le calendrier. « Si le président vient, ce sera pour faire une déclaration puissante sur Thiaroye et le colonialisme, pas pour rester assis aux côtés d’autres présidents africains », a averti un confident proche de la présidence sénégalaise.
Le premier jour du mois de décembre, Dakar accueillera une cérémonie en mémoire des tirailleurs. Les dirigeants du Sénégal ambitionnent de transformer cette cérémonie en un grand événement populaire et panafricain. Il est possible que des responsables des pays voisins où des citoyens ont également donné leur vie en servant dans l’armée française – y compris le Mali, le Burkina Faso et le Niger, en désaccord avec Paris – puissent assister. Les informations indiquent également qu’Emmanuel Macron, ayant obtenu un « accord de principe » de Dakar, pourrait être présent.
Malgré le geste symbolique de l’Élysée, plusieurs questions restent en suspens pour apaiser cette mémoire douloureuse impliquée dans les enjeux politiques : les questions des réparations, les remboursements des montants détournés gardés dans les coffres de l’État français et la réintégration de dizaines de tirailleurs survivants du massacre, condamnés autrefois par un tribunal militaire. Cependant, la question la plus délicate reste celle des archives. Elles ont été numérisées et remises au Sénégal, mais leur accès intégral reste complexe, rendant ainsi difficile de déterminer le nombre et l’emplacement des victimes.
« Cette affaire va bien au-delà du Sénégal, impliquant toutes les anciennes colonies françaises en Afrique. Un besoin impératif de vérité et de justice exige un accès complet aux archives et l’exhumation des charniers. La vérité et la justice sont des prérequis pour établir une coopération équitable entre la France et ceux qu’elle a opprimés », a conclu un observateur sénégalais proche du gouvernement.
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