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« Décisions gouvernementales post-élections législatives critiquées »

Quelle est l’étendue des autorités d’un gouvernement ayant démissionné ? Tout en débattant sur l’installation d’un nouveau premier ministre, l’incertitude concernant les compétences du premier ministre démissionnaire Gabriel Attal et son cabinet, assignés pour gérer les affaires courantes, s’intensifie. Il y a eu au moins deux tentatives de remise en question de la validité des décrets ou des nominations faites par le gouvernement après sa défaite aux élections législatives, bien qu’aucune loi ne régit spécifiquement cette situation exceptionnelle.

La date exacte de la démission du gouvernement reste incertaine
Il est évident qu’un gouvernement démissionnaire ne peut gérer que les affaires courantes, mais les opinions varient sur quand exactement cette démission devient officielle. Selon une note interne du 2 juillet, le secrétariat général du gouvernement estime que le moment de gestion des affaires courantes commence à partir de l’acceptation par décret de la démission du gouvernement par le président de la République, le 16 juillet dans le cas de Gabriel Attal.

Cependant, des professeurs de droit public tels que Julien Boudon (Université Paris-Saclay) et Benjamin Morel (Paris – Panthéon-Assas), se réfèrent à un précédent de l’époque de Gaulle pour affirmer qu’un gouvernement est considéré comme ayant démissionné dès que le premier ministre présente sa lettre de démission au président de la République – la gestion des affaires courantes aurait donc commencé le 8 juillet.

Les décrets d’application de la loi « immigration », publiés le 16 juillet, sont donc dans cette période ambigüe entre pleine administration et gestion des affaires courantes, tout comme le décret critiqué concernant les « vendanges sept jours sur sept ».

Certaines nominations sont perçues comme des « excès de pouvoir ».

Au-delà de la question chronologique, certains contestent la légitimité des nominations faites par le gouvernement Attal depuis la dissolution de l’Assemblée nationale. Marine Le Pen, la députée du Rassemblement national, a émis des alertes sur une potentiel « usurpation administrative » dès le 2 juillet, mettant en lumière plusieurs nominations clés qui semblaient viser à entraver les efforts de Jordan Bardella pour diriger le pays selon ses souhaits. Cela est survenu alors que l’extrême droite espérait obtenir la première place suite au second tour des élections législatives. Lors du conseil des ministres du 26 juin, le gouvernement avait nommé un nouveau chef militaire pour Paris, un nouveau commandant en chef de l’armée de l’air, trois ambassadeurs et deux recteurs.

Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, le 24 juillet, s’est également interrogé sur la récente vague de nominations pour des postes de direction au sein de l’administration centrale avec des délais d’entrée en fonction retardés. Un exemple est le poste de secrétaire général adjoint de la défense et de la sécurité nationale qui est un poste directement lié au premier ministre en ce qui concerne la défense et qui sera occupé en septembre. Il a demandé au Conseil d’État de vérifier la légalité de ces « actions réglementaires qui dépassent clairement à la fois les prérogatives du gouvernement et le cadre de la gestion normale des affaires, ce qui constitue un abus de pouvoir ».

Il existe une certaine ambiguïté concernant les droits d’un gouvernement démissionnaire en ce qui concerne les nominations. Selon la note du secrétariat général du gouvernement, il est généralement accepté que ces nominations fassent partie des « affaires courantes » pour garantir la « continuité de l’État » et éviter l’engorgement des administrations. Pourtant, cela ne devrait pas s’étendre aux « nominations les plus politiquement chargées », telles que les « directeurs d’administration centrale et autres postes décidés par le gouvernement », « sauf en cas d’urgence spécifique ». Il peut cependant être délicat de déterminer cette limite en pratique.

La CGT a exprimé son mécontentement à propos de la nomination de Bérangère Couillard, ancienne ministre macroniste déléguée à l’égalité entre les sexes qui a été défaite aux élections législatives, comme chef du Haut Conseil à l’égalité. La CGT a affirmé que « le gouvernement, tout en faisant ses bagages, continue de négliger le verdict des urnes et recase une ancienne ministre ».

On suppose également que le gouvernement a accéléré le rythme habituel des nominations en promulguant 790 décrets et ordonnances de nomination depuis le 9 juin et en distribuant plus de 70 postes le 16 juillet, jour de la signature du décret présidentiel officialisant la démission du gouvernement Attal. « Il est normal que le Journal officiel du 17 juillet soit plus volumineux, le gouvernement a pris toutes les mesures réglementaires qu’il pouvait encore passer avant que sa démission ne soit officialisée », explique Marie-Julie Bernard, maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Grenoble, qui souligne que cette pratique est courante avant les changements de gouvernement.

L’explication de certaines nominations militaires pourrait être que le président français, Emmanuel Macron, a laissé traîner ce « mercato » annuel, qui a lieu généralement avant la fin du printemps. Suite à la dissolution de l’Assemblée, des décisions urgentes ont dû être prises par la présidence, donnant une teinte plus politique à ces nominations habituellement fonctionnelles.

D’autre part, l’élection à l’Assemblée nationale de 17 ministres sortants, y compris Gabriel Attal, expose un autre souci. L’article 23 de la Constitution française interdit la double fonction de membre du gouvernement et parlementaire. Paul Cassia, président de l’association de lutte contre la corruption Anticor, a contesté un décret du 8 juillet qui modifie la taxation des étudiants, argumentant que Gabriel Attal a perdu son autorité pour le signer suite à son élection comme député la veille. « La séparation des pouvoirs est la base de notre république et le pouvoir législatif et exécutif ne peuvent coexister », explique ce professeur de droit public.

Si le Conseil d’Etat confirmait cet incompatibilité, « cela signifierait que les ministres élus députés ne sont absolument pas habilités pour exercer une fonction ministérielle depuis le soir du 7 juillet », et tous les décrets qu’ils ont pris depuis cette date seraient annulés, précise Cassia.

La question du sérieux déséquilibre des pouvoirs est également soulevée par le groupe écologiste de l’Assemblée nationale. Ils ont présenté le 25 juillet une motion au Conseil d’Etat, alléguant un abus de pouvoir concernant un décret du 19 juillet signé par Gabriel Attal. Ce décret autorise l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi) à créer un dossier contenant des « données opérationnelles de cyberdéfense ».

Léa Balage El Mariky, porte-parole des députés écologistes, exprime son inquiétude auprès du Monde, soulignant que le cumul des rôles ministériels et parlementaires interfère avec l’équilibre et la transparence nécessaires à une démocratie saine. Afin de clarifier cette situation juridique floue, ils ont demandé au Conseil d’Etat d’envoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. El Mariky exprime également ses préoccupations sur la façon dont l’extrême droite pourrait profiter de ces ambiguïtés dans le cas où elle accéderait au pouvoir.

Concernant ces deux affaires, il est probable que les juges de la plus haute juridiction administrative rendront une décision après de longues semaines, voire des mois.

Depuis le 18 juillet, il y a eu une réduction du nombre de décrets et d’arrêtés émis par le gouvernement, comme le recommandait le Secrétariat général du gouvernement. Néanmoins, cette administration, qui est liée à Matignon, souligne que la mise en place de mesures réglementaires ne peut pas être indéfiniment reportée en raison des exigences du fonctionnement de l’Etat. Plus l’attente de la nomination d’un premier ministre est longue, plus le gouvernement démissionnaire peut être amené à prendre des décisions politiques. Cela pose un problème de responsabilité, car il ne peut plus être destitué par une motion de censure à l’Assemblée nationale.
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