Tous les épisodes de la série « Des écrivains parlent travail » sont disponibles ici. L’Israélienne Zeruya Shalev, célèbre autrice à succès dont sept de ses œuvres ont été traduites en français, vit à Haïfa depuis plusieurs années. Ayant passé la majorité de sa vie à Jérusalem, elle nous confie son propre processus d’écriture lors d’un dîner dans un restaurant moyen-oriental situé sur le port de Haïfa. Lorsqu’on lui demande comment elle écrit, sa méthode est-elle une progression tâtonnante ou décidée à l’avance ?
Zeruya a commencé sa carrière littéraire en tant que poète. Elle avait l’avantage d’être émue par des vers qui semblait survenir spontanément. Les mots surgissaient dans son esprit et elle n’avait qu’à saisir son stylo pour les transcrire. Cette technique a été utilisée par elle pendant de nombreuses années. Son style d’écriture dépendait entièrement de son inspiration; les mots semblaient lui être dictés et tout ce qu’elle avait à faire était de les mettre sur papier. Avec son passage à la prose, Zeruya a conservé cette méthode, bien qu’elle essaie maintenant d’établir une liaison plus organisée entre ses idées.
De manière générale, des idées intuitivement me viennent à l’esprit. Mon œuvre Thèra [2005; Gallimard, 2007] s’est manifestée à partir d’un seul paragraphe. Dès qu’un mot ou une idée émerge, je m’empresse de la noter, peu importe où je suis, que ce soit dans un café ou un restaurant. Subitement, un paragraphe prend forme, suivi d’un autre et puis un autre… C’est alors que je commence à percevoir vers où tout cela se dirige. Ma volonté n’interfère jamais dans ce processus. Bien que je travaille intensément, je demeure relativement passive. La plupart de mes idées semblent, pour ainsi dire, me tomber dessus. C’est comme si un puits intérieur en moi faisait remonter ces idées sans passer par le filtre de la conscience ordinaire. En conséquence, je me retrouve souvent à écrire des pages entières sans avoir planifié ou réfléchi à quoi que ce soit. Mon processus d’écriture est largement imprégné de « stupeur » [en référence au roman portant ce titre, 2021; Gallimard, 2023]. Après mon premier brouillon, j’entame un processus différent, plus lent et minutieux, rempli d’additions, corrections et révisions innombrables. Cependant, lors de la phase initiale, je ne prends aucune décision.
Cependant, vos œuvres de fiction sont soigneusement organisées autour d’intrigues, comportant des revirements, du suspense, un début et une fin. Comment parvenez-vous à concilier la nécessité de construire une narration structurée avec votre approche intuitive décrite ci-dessus?
Lorsque je ne suis pas en plein processus d’écriture, le livre m’échappe complètement. Seul face à mon écran, les idées prennent forme. De nombreuses pages peuvent finir à la corbeille si je réalise qu’elles ne correspondent pas à la continuation de l’histoire. Les premières étapes sont extrêmement brutales, elles semblent sortir d’un rêve ou d’une conscience alternative. Je tape avec un doigt qui écrit sans que je ne sache réellement ce qu’il produit. Mon rôle est d’établir une connexion entre ce premier niveau instinctif et le second, où le travail de coupe, d’organisation et de réécriture a lieu. Il semblerait que je suive mes personnages de près, leur accordant la capacité d’orienter leur propre sort.
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