Malgré l’absence d’application de la peine de mort au Niger depuis les années 70, l’entourage de Mohamed Bazoum est en état de choc. « Il est à la merci de militaires putschistes qui ont tout pouvoir sur lui », avertit l’un d’eux. Effectivement, un an après son renversement le 26 juillet 2023 par le général Abdourahamane Tiani, le dirigeant de la garde présidentielle censée le défendre, l’ex-chef de l’Etat court le risque d’être condamné à mort par ceux qui l’ont renversé. Une autre étape symbolique assignée à la dégringolade brutale de cet ancien président, emprisonné dans son propre palais et qui refuse continue à refuser de démissionner officiellement malgré un futur qui s’assombrit de jour en jour.
Le 14 juin, la Cour d’Etat, une juridiction nouvellement créée en novembre 2023 par la junte au pouvoir, a révoqué son immunité présidentielle. Par conséquent, Mohamed Bazoum peut maintenant être jugé pour divers chefs d’accusation portés contre lui par les putschistes, y compris un « complot pour attenter à la sécurité et à l’autorité de l’Etat » et un « crime de trahison », susceptibles respectivement de la peine de prison à vie et de la peine capitale selon la loi pénale nigérienne. On lui reproche, entre autres, d’avoir communiqué avec le président français, Emmanuel Macron, et le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, au sujet d’une « intervention militaire » visant à le réintégrer dans ses fonctions pendant le coup d’Etat perpétré en juillet 2023.
Ses défenseurs, sans accès direct à lui, attendent la progression du processus et un possible procès. Mohamed Bazoum a subi un durcissement de ses conditions de détention depuis qu’il a été accusé par ses gardiens de tentative d’évasion en octobre 2023 – une accusation que sa défense qualifie de « fabriquée de toute pièce ». Initialement, il a été retenu dans la résidence présidentielle avec son épouse Hadiza et leur fils Salem, 22 ans, libéré en janvier. Aujourd’hui, le couple est enfermé dans un petit appartement à proximité. Ils ne sortent jamais, ont seulement quelques mètres de couloir pour s’étirer les jambes, et passent leurs journées entre leur chambre et un petit salon contigu. C’est un quotidien dans une prison sans barreaux et sans espoir de libération prochaine.
Leurs seules visites sont celles de leur docteur personnel, qui se rend à deux reprises par semaine avec de la nourriture ou quelques livres, et leurs deux cuisiniers qui préparent leurs repas quotidiens. Quant à son téléphone, qu’il avait réussi à garder jusqu’en octobre 2023 pour maintenir un contact discret avec l’extérieur, il a été pris à M. Bazoum.
Il est devenu un symbole de la résistance.
Emmanuel Macron entretenait une correspondance régulière avec divers homologues suite au coup d’Etat, et il était particulièrement proche de Mohamed Bazoum. Ce dernier, dans une région tumultueuse où des insurgés anti-France avaient réussi à prendre le pouvoir au Mali et au Burkina Faso entre 2020 et 2022, était considéré par Paris, Washington et d’autres capitales occidentales comme le dernier exemple d’un partenaire fiable, qui devait être soutenu coûte que coûte. Bazoum, un allié fiable, avait consenti à accueillir l’ensemble militaire français au Sahel, qui comptait 1500 soldats, suite à leur retrait du Mali en 2022 et partageait l’approche de sécurité de la France pour la région.
Cependant, lorsque Bazoum fut lui-même renversé par un petit groupe de militaires armés le 26 juillet 2023, cette prise de pouvoir à Niamey fut un retournement trop important pour les autorités de l’Elysée. Irrité contre ses services secrets pour leur échec à anticiper cet événement, Emmanuel Macron peinait à accepter ce nouvel échec sahélien.
Du fort de Brégançon à Paris, Macron a passé une bonne partie de ses vacances d’août habituelles en communication téléphonique avec ses homologues d’Afrique de l’Ouest et de l’Occident, dans une tentative de rétablir Bazoum, élu en 2021, dans ses fonctions. Une intervention des unités spéciales françaises pour soutenir les soldats nigériens restés fidèles a même été envisagée dans les premières heures suivant le coup d’État, avant que Paris n’appuie secrètement l’intervention militaire des pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), encore une fois sans aboutissement. Les semaines se sont écoulées, devenant des mois pendant lesquels le général Tiani a renforcé son contrôle sur le pays, soutenu par ses voisins malien et burkinabé et par son nouvel allié russe.
Un an après son renversement, l’ex-dirigeant du pays se retrouve isolé. Cependant, ses alliés et ses supporters le voient comme un symbole de l’opposition démocratique à l’autorité arbitraire des militaires. Par ailleurs, le Palais de l’Élysée confirme qu’Emmanuel Macron tire parti de chaque interaction ou discussion pour rappeler aux différents intervenants de « ne pas négliger » le prisonnier le plus notoire de Niamey.