Franck Poupeau est un directeur de recherche au CNRS et membre du Centre de recherche et de documentation sur les Amériques. Il a effectué des recherches approfondies sur les politiques de l’eau et les inégalités urbaines en Amérique du Sud et aux États-Unis. Il est également l’auteur de « Altiplano. Fragments d’une révolution (Bolivie, 1999-2019) » publié par Raisons d’agir en 2021. Poupeau a coordonné la publication posthume des travaux de Pierre Bourdieu et est un contributeur régulier aux éditions Raisons d’agir.
Il explique que la guerre de l’eau de Cochabamba, qui a commencé en décembre 1999, a eu lieu dans un contexte de crise économique grave en Bolivie. Des politiques de privatisation des services publics ont été mises en place à partir des années 1980 afin de répondre aux demandes de la Banque mondiale. Une deuxième vague de privatisation a touché les services urbains de gestion de l’eau à la fin des années 1990. Après La Paz en 1997, le processus a touché Cochabamba, la troisième plus grande ville de Bolivie, en 1999. L’approvisionnement en eau de la ville a été confié à un consortium formé par l’entreprise italienne International Water Limited et l’entreprise américaine Bechtel.
Dans un climat de libéralisation triomphale, le changement est drastique. La politique de privatisation, sans prévoir de mesures sociales, fait flamber les coûts d’équipement dans les zones éloignées et populaires, rendant impossible toute vision de profit. La possibilité d’une augmentation des tarifs inquiète les groupes sociaux, mais c’est un décret interdisant aux personnes de collecter l’eau de pluie qui provoque le chaos. Cette coutume ancestrale permet aux familles les plus démunies de répondre à leurs besoins domestiques et agricoles dans un pays déjà fortement touché par la pénurie. Cette mesure est le coup de grâce. A partir de décembre 1999, la ville est paralysée par les manifestations.
Plutôt que de négocier, le gouvernement déploie l’armée. Cette répression entraîne la mort d’un manifestant et de nombreux blessés. C’est le début d’une escalade de violence, avec des confrontations similaires à la guerre urbaine entre les soldats et les résidents barricadés. Le conflit local reçoit une attention nationale et même internationale, jusqu’à ce que la victoire soit obtenue en avril 2000, lorsque le gouvernement annule le contrat de concession.
Comment peut-on expliquer l’ampleur de ce mouvement ?
Il n’est pas exact de dire que la guerre de l’eau à Cochabamba était simplement une insurrection spontanée des communautés indigènes locales, une interprétation qui peut être considérée comme trop idéalisée. En vérité, ce n’est pas par pur hasard que ce mouvement a débuté dans cette ville, un centre névralgique des conflits politiques boliviens. C’est là que la révolution de 1952 a vu le jour et c’est aussi là qu’un certain nombre d’anciens mineurs qui ont perdu leur emploi dans les années 80 ont trouvé refuge. Cochabamba est une ville qui manque d’équipements et qui souffre de complications chroniques en lien avec le manque d’eau, en particulier dans les zones périurbaines et rurales du sud. Plus les gens sont démunis, moins ils ont accès à l’eau et plus ils sont obligés de payer cher pour la faire transporter par camion-citerne, tandis que les quartiers du nord, plus aisés, ont des infrastructures logistiques en place. Ignorées par le gouvernement, les personnes ont pris l’initiative de s’organiser en coopératives, jouant un rôle actif dans l’acheminement de l’eau. Il en existe de divers types, tels que les comités d’irrigation (regantes), les conseils de quartier (juntas vecinales) et les syndicats de travailleurs industriels (fabriles). C’est la communauté locale qui prend soin du réseau d’eau déjà en place. Ces organisations constituent un environnement politique et social favorable à l’activisme. En fait, c’est Oscar Olivera, le représentant syndical des fabriles, qui a émergé comme l’un des leaders de la guerre de l’eau.
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