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« Avancée russe en Ukraine: infanterie, pas guerre »

Emmanuel Grynszpan, un journaliste international pour Le Monde, a récemment rentré d’Ukraine et a partagé ses observations concernant la situation militaire en cours. Selon lui, bien que l’armée russe avance le long d’un front de 700 kilomètres, il s’agit plutôt d’une progression lente par l’infanterie, et non d’une guerre mouvante.

Il indique que les forces russes ont du mal à capitaliser sur les ouvertures potentielles, comme encercler et anéantir les poches ukrainiennes. Emmanuel Grynszpan souligne que même si l’activité se poursuit sur le front, elle est très lente et entraîne des pertes pour la Russie trois à quatre fois plus lourdes que celles de l’Ukraine.

En ce qui concerne les armes en provenance de l’Amérique et de l’Europe, Emmanuel Grynszpan confirme qu’elles continuent d’être fournies régulièrement aux forces armées ukrainiennes. Il y a eu une pause dans la livraison, surtout pour les munitions d’artillerie et les missiles de défense aérienne, plus tôt dans l’année. Cependant, au début de juillet, lorsque Grynszpan était en Ukraine, il a été informé que ces fournitures étaient de nouveau sur le terrain, bien que leur volume soit insuffisant.

Le journaliste soulève également un changement dans le ratio de feu, de dix obus russes à un obus ukrainien initialement, il est actuellement de cinq à un, moins défavorable pour l’Ukraine.

En évoquant les avions F16 promis à l’Ukraine, Pinthon s’interroge sur leur arrivée sur le territoire ukrainien et l’état de préparation des pilotes pour les diriger. Il se questionne également sur l’impact de ces avions sur l’issue des combats.

En réponse, Emmanuel Grynszpan souligne qu’il n’y a pas de preuves concrètes de la présence de F-16 dans le ciel ukrainien. Il suggère qu’ils pourraient être cachés dans des bases ukrainiennes pour échapper aux bombardements constants de la Russie.

Il admet ne pas être en mesure d’évaluer la compétence des pilotes ukrainiens, mais affirme que ni les pays qui ont fourni les F16, ni Kiev, n’ont intérêt à dépêcher des pilotes mal formés. La déception serait grande en cas de multiples échecs avec les F-16, tant pour les Ukrainiens que pour leurs alliés, bien qu’il reconnaît que certaines pertes sont inévitables face à la défense aérienne russe.

En ce qui concerne l’impact potentiel des F-16 sur le conflit, Grynszpan relaie le consensus parmi les experts de l’aviation selon lequel ces avions pourraient rééquilibrer le contrôle du ciel, infliger des dégâts significatifs aux systèmes radars et antiaériens russes, repousser les bombardiers russes pour limiter les attaques, et peut-être même contribuer à l’élimination des drones d’attaque et des missiles de croisière russes. Cependant, il souligne que quasiment personne n’envisage que les F-16 puissent à eux seuls inverser le cours de la guerre.

Olivier se demande si le désir de Zelensky d’inclure la Russie dans des négociations de paix indique une faiblesse face aux conflits actuels et si les Russes pourraient saisir cette occasion pour engager des discussions avec Kiev. Selon Emmanuel Grynszpan, il est probable que Zelensky ait voulu montrer aux pays occidentaux et du Sud global qu’il est prêt à la négociation. Il précise que cette attitude est plus une posture qu’une proposition concrète à cette étape. L’absence des Russes à la première conférence de paix (en Suisse) a mal été reçue par des forces diplomatiques telles que la Chine et l’Arabie saoudite, et l’Ukraine cherche à redresser la situation.

De même, Moscou déclare être en faveur de la paix, mais avec des conditions qui ressemblent à une capitulation de l’Ukraine. Vladimir Poutine croit que le temps est en sa faveur; il espère que l’unité des pays occidentaux va se dissoudre et s’attend à une victoire de Donald Trump en novembre, ce qui pourrait entraîner un ultimatum pour Kiev : un cessez-le-feu immédiat, des concessions territoriales ou l’arrêt des livraisons d’armes. Actuellement, les positions de chaque côté sont extrêmes et un accord paraît hors de portée.

Erwan pose la question de savoir si une contre-offensive ukrainienne est toujours possible, en Crimée par exemple, ou si l’on se dirige vers une solution diplomatique qui pourrait impliquer des concessions territoriales.

Selon Emmanuel Grynszpan, une vaste contre-attaque ukrainienne est totalement improbable dans les prochains mois. Les munitions et véhicules blindés sont insuffisants, et il manque des troupes d’intervention, bien entraînées et prêtes à l’action. Les défenses ukrainiennes sont déployées tout au long du front. Toutefois, cela ne signifie pas que des initiatives offensives de l’Ukraine sont inexistantes; elles sont simplement limitées à quelques harcèlements des forces russes.

Dans l’avenir, la balance pourrait pencher en faveur de l’Ukraine, surtout si la mobilisation réussit à recruter assez d’hommes pour constituer des forces déterminées et performantes. Une autre condition serait une augmentation significative de l’assistance matérielle de l’Occident, grâce à une augmentation de la production des industries de défense européennes et américaines. De plus, l’épuisement des grandes ressources humaines et matérielles russes pourrait entraîner des faiblesses de leur côté. Après tout, la guerre est l’activité la plus incertaine pour l’humain.

Concernant les missiles à longue portée livrés à l’Ukraine, Grynszpan affirme que l’Ukraine utilise des missiles de portée moyenne (150 km) selon les informations et images provenant des deux fronts. Cependant, rien qui puisse permettre des attaques plus lointaines, comme le Taurus allemand, n’a été fourni à ma connaissance. Les Ukrainiens fabriquent des drones capables de porter des coups jusqu’à 1 000 km derrière les lignes russes.

Quant à l’état d’âme des jeunes générations, particulièrement à Kyiv, leur niveau de mobilisation ou de résignation reste à déterminer.

Emmanuel Grynszpan a constaté que l’affichage du patriotisme est courant parmi les jeunes Ukrainiens, mais cela ne se traduit pas toujours par une volonté de prendre les armes. Quelques-uns se contentent de montrer leur soutien par le biais de vêtements aux couleurs nationales, tandis que d’autres contribuent financièrement à équiper l’armée. Les plus investis travaillent bénévolement dans diverses organisations qui soutiennent l’armée. Et ceux qui sont les plus déterminés s’engagent volontairement au sein de l’armée ou de groupes paramilitaires sous le commandement de l’état-major.

Grynszpan a également observé un sentiment de résignation parmi certains jeunes. De plus en plus d’avis aussient que ce conflit va s’éterniser et qu’il est sans espoir de reprendre le contrôle du Donbass par les armes – d’autant plus que cette région est déjà détruite. Ces opinions ganent en popularité, mais seule une enquête peut révéler leur impact sur l’opinion publique.

Il a aussi évoqué le phénomène de jeunes hommes terrifiés à l’idée d’être recrutés de force dans l’armée, qui préfèrent rester retranchés chez eux. Ce type de cas est apparemment courant.

Quant à Sébastien, il a mentionné avoir lu que l’armée russe subit de lourdes pertes chaque jour depuis plusieurs mois déjà, avec un chiffre avoisinant les 1000 morts chaque jour et de nombreux équipements détruits. Des tactiques d’assaut rudimentaires, comme l’utilisation de motos ou de voiturettes de golf chinoises, auraient été rapportées. En revanche, les pertes ukrainiennes seraient bien inférieures. Cependant, il s’interroge sur la vérité de ces informations.

L’état-major ukrainien partage effectivement tous les jours de telles statistiques, cependant, il est introuvable d’estimer précisément les pertes sur le côté adversaire du front. On peut présumer, à partir des images diffusées, que les attaques russes (infanterie démantelée, avançant sans blindage sur des distances longues en terrain exposé, parfois même sans gilet pare-balles) subissent des pertes considérables.

Cependant, la puissance de l’armée russe est nettement plus élevée, en grande partie grâce aux bombes planantes guidées qui peuvent peser jusqu’à 3 tonnes et qui sont capables de détruire n’importe quel abri, infligeant certainement de lourdes pertes aux Ukrainiens aussi. En se basant sur les estimations de divers spécialistes, je suppose que le ratio de pertes humaines se situe entre 1 pour 3 et 1 pour 5, en faveur des Ukrainiens.

Maz : Diriez-vous que l’armée russe a maintenant une meilleure performance tactique ou est-elle toujours à la mode soviétique ?
Emmanuel Grynszpan : Toute armée utilise l’expérience de guerre pour perfectionner ses tactiques, ses armements, ses technologies et sa hiérarchie. A minima, une armée en guerre a une vaste quantité de soldats formés au combat. Beaucoup de militaires ukrainiens m’ont indiqué que l’armée russe a nettement évolué depuis 2022, malgré le fait que les 200 000 hommes envoyés à l’attaque étaient tous des professionnels. L’expérience du combat est cruciale, et l’armée russe a une armée extrêmement entrainée dont la menace ne doit surtout pas être négligée.

Justin : Est-ce que la campagne de recrutement a réussi à trouver toutes les recrues potentielles avant le début de la guerre ? Y a-t-il encore une grande quantité de personnes disponibles dans la population pour se battre ? N’est-ce pas aussi un facteur critique pour l’avenir de cette guerre?

Emmanuel Grynszpan : Les Ukrainiens les plus prêts à combattre se sont probablement déjà engagés dans l’armée. Le recrutement actuel cible sûrement les personnes moins passionnées, mais qui sont néanmoins capables de combattre s’ils sont correctement formés et équipés. Il y a sans aucun doute un réservoir d’hommes et de femmes dans une population d’au moins 30 millions de personnes. Vous avez absolument raison, c’est une variable clé de la guerre, mais sa valeur exacte nous est inconnue. Il serait hasardeux de dire maintenant que l’Ukraine n’a plus aucun espoir de gagner, simplement parce que la seconde vague de recrutement est de moindre qualité que la première. Les Russes sont confrontés au même dilemme.

Narratives : Pensez-vous qu’il est encore prématuré dans le récit pour discuter du prix de cette guerre pour l’économie européenne, en dehors des propos tenus par nos adversaires idéologiques?

Emmanuel Grynszpan : Il serait surprenant de ne pas vouloir évaluer nos propres ressources économiques, démographiques et autres en pleine situation de guerre en Europe. Le coût de la guerre pour les Ukrainiens est considérablement plus important que pour nous. Cela ne les empêche pas de tenir bon.

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