Alain Chouraqui, un éminent directeur de recherche du CNRS, se consacre à l’analyse des mécanismes historiques qui ont conduit à l’émergence de régimes totalitaires et de politiques de génocide. Il est principalement connu pour son livre « Le Vertige identitaire. Tirer les leçons de l’expérience collective : comment peut basculer une démocratie ? » publié par les Actes Sud en 2022. Chouraqui a également supervisé l’établissement du mémorial du camp des Milles, un ancien site d’internement et de déportation situé dans la commune d’Aix-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône. Il a lancé le réseau « Institutions mémorielles et éducation à la citoyenneté » après les attentats de 2015 en France, qui associe des organisations comme le Musée-mémorial d’Auschwitz-Birkenau en Pologne, le Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation de Lyon, le Centre Simon-Wiesenthal et le Centre du Patrimoine juif de l’Ouest canadien.
Le 27 juin, une quinzaine de sites et d’associations mémoriels ont publié un manifeste appelant les citoyens à résister démocratiquement aux puissantes forces d’exclusion et de rejet de l’autre engendrées par les idéologies sectaires et les partis politiques qui s’en inspirent.
Chouraqui, qui étudie depuis de nombreuses années comment les sociétés basculent vers le totalitarisme, est-il préoccupé par la menace actuelle sur la démocratie en France ?
L’étude des tragédies humaines les plus profondes nous sensibilise à la manière dont se produit l’escalade destructrice : chaque phase prépare et rend possible la suivante, autant chez l’individu que dans la société. L’évaluation révèle que de telles tendances peuvent s’accélérer et atteindre de grands extrêmes lorsque des extrémismes identitaires interviennent. Ces derniers transforment des interrogations parfois valables en fixations identitaires mortelles, qui en plus occultent les défis sociaux, économiques et écologiques.
Nous observons aujourd’hui que les principaux signes caractérisant habituellement le prélude à un tournant autoritaire sont présents : désorientation, brutalité, remise en question des institutions et des élites, tensions identitaires, comme le démontre la hausse des incidents antisémites depuis le 7 octobre 2023 et une croissance des actes racistes à la suite des élections européennes.
Selon Walter Benjamin, l’antisémitisme en Europe représente toujours une « alarme d’incendie » et est également un indicateur des troubles sociaux. Je soutiendrais que l’avertissement n’a pas été assez considéré depuis les années 2000. À présent, nous avons dépassé le stade de l’alerte : l’incendie a pris. Les Juifs ne sont pas les seuls menacés, face à un niveau élevé de violence dans la société, de manipulation du discours, et d’angoisse collective où tout un chacun craint autrui.
Il reste 71.55% de cet article à lire. Ce qui suit est seulement accessible aux abonnés.