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23 juillet 2024 2 h 08 min

« Affaire McKinsey: Ex-dirigeant dédouané par justice »

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L’affaire judiciaire impliquant Karim Tadjeddine, ancien responsable français du cabinet de conseil McKinsey, a été abandonnée, selon ce qu’a révélé le parquet de Paris au Monde le lundi 22 juillet. Cela confirme les détails publiés précédemment par La Lettre du conseil. M. Tadjeddine était suspecté d’avoir fait de fausses déclarations au Sénat et échappe désormais à des poursuites, l’infraction étant jugée insuffisamment définie.

Cette saga juridique a commencé le 18 janvier 2022, lors des témoignages devant la commission d’enquête examinant l’impact des cabinets de conseil sur les décisions politiques. Interrogé par les sénateurs au sujet du régime fiscal de McKinsey, M. Tadjeddine, alors directeur associé de McKinsey en France, affirmait que la société « payait l’impôt sur les sociétés en France » et que « l’ensemble des salariés appartenait à une entreprise française qui payait ses impôts en France ».

Cette déclaration semble être contredite par des documents fiscaux récupérés par la commission d’enquête auprès du Ministère des finances. Ces documents montrent que les deux principales entités françaises de McKinsey n’ont payé aucun impôt sur les sociétés de 2011 à 2020, malgré un chiffre d’affaires important – 329 millions d’euros pour l’année 2020 uniquement.

En conséquence de ces découvertes, le Sénat a signalé une suspicion de faux témoignage à la justice le 25 mars 2022, un délit qui peut entraîner jusqu’à cinq ans de prison et une amende de 75 000 euros. Cependant, après deux ans, le parquet de Paris a opté pour l’abandon des poursuites à l’encontre de M. Tadjeddine.

Il reste à noter que trois autres procédures liées au scandale McKinsey sont toujours en cours d’investigation.

La procureure de Paris, Laure Beccuau, a explicitement indiqué dans une correspondance datée du 30 mai adressée au Sénat les causes expliquant pourquoi le délit de « parjure » n’était pas établi à son avis. Elle a accordé à M. Tadjeddine le bénéfice du doute en raison de l’ambiguïté de sa déclaration : bien que les entités françaises de McKinsey n’aient pas effectivement versé d’impôt sur les sociétés, elles étaient pourtant soumises à cet impôt. Autrement dit, McKinsey a bel et bien acquitté l’impôt sur les sociétés, mais l’impôt en question s’élevait à zéro euro, à cause des stratégies d’optimisation fiscale. Par conséquent, le dirigeant n’aurait pas sciemment trompé les sénateurs.

Malgré l’abandon des charges contre Karim Tadjeddine, ce dernier jugeant ce résultat « juste au vu des faits », McKinsey n’est pas entièrement blanchi. Depuis le 31 mars 2022, le Parquet national financier mène une enquête parallèle basée sur les détails fiscaux divulgués par le Sénat, pour déterminer si McKinsey a fait une optimisation fiscale légale, ou si la société est passée du côté de l’évasion fiscale illégale. En plus, deux autres procédures ont été engagées en relation avec l’implication du cabinet américain au cours des campagnes d’Emmanuel Macron en 2017 et 2022. Karim Tadjeddine, qui gérait les contrats du cabinet avec l’Etat et qui connait M. Macron depuis 2017, symbolisait le rapprochement entre McKinsey et l’Elysée, jusqu’à son départ du cabinet à la fin de l’année 2022.

Les accusations de parjure devant les comités parlementaires, qui sont difficiles à prouver juridiquement, se terminent généralement par des classements sans suite. Avant Karim Tadjeddine, la cour a décidé de ne pas poursuivre Frédéric Oudéa, le directeur général de la Société Générale – les « Panama Papers » avaient révélé ses mensonges concernant l’implication de son groupe dans les évasions fiscales – Patrick Strzoda, conseiller élyséen – soupçonné d’avoir minimisé le rôle d’Alexandre Benalla à l’Elysée – ou Didier Lallement, le préfet de Paris, et quatre juges – suspectés d’avoir dissimulé la vérité sur l’organisation d’une manifestation de policiers illégale. Jusqu’à présent, le pneumologue Michel Aubier est le seul à avoir été puni pour de faux témoignages devant la cour: en 2018, il a été condamné en appel à une amende de 20 000 euros pour avoir dissimulé ses relations avec le groupe de pétrole Total lors d’une audience sur les coûts de la pollution de l’air, trois ans auparavant.