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« Sur l’île » : L’îlienne contrôle son destin

Dans son premier roman intitulé « Sur l’île » (Whale Fall), Elizabeth O’Connor nous offre un écrit remarquable par son étonnante sobriété et son rythme lent modulé par des phrases courtes et des chapitres concis. Des zones reculées et apparemment désolées présentent un décor saisissant pour cette œuvre, traduite en français par Claire Desserrey et publiée par JC Lattès. Disponible en version papier et numérique, ce livre de 272 pages est proposé à 21,90 € et 16 €, respectivement.

L’histoire se situe en 1938 sur une île imaginaire aux larges des côtes galloises. Elle présente une poignée d’habitants, parmi lesquels Manod, une jeune femme de 18 ans aspirant à devenir enseignante et qui travaille assidûment son anglais. C’est dans cette toile de fond qu’une baleine s’échoue, émergeant « de l’eau comme un chat qui se glisse sous une porte ». Peu de temps après, Joan et Edward, deux Anglais venus de Grande-Bretagne, arrivent sur l’île avec l’intention d’écrire un livre sur la vie quotidienne de ses habitants. Ils engagent Manod comme secrétaire et interprète, et elle se fascine par leurs anecdotes, rêvant à leurs côtés tandis que la baleine dépérit lentement pour n’être plus qu’une carcasse sur la plage.

« Sur l’île » est un roman d’apprentissage polyphonique où l’intrigue avance au rythme des témoignages et des chansons traditionnelles. C’est un texte à la fois simple et profond, avec Manod comme personnage principal exemplaire. Sa proximité avec Joan et Edward bouscule les repères de Manod. D’abord emprisonnée par son insularité et le destin attendu d’une fille de pêcheur prête à se marier, elle se retrouve transportée mentalement quelque part entre son île et l’ailleurs.

Dans ce contexte intermédiaire, elle s’engage dans une deep introspection et incite son propre corps « construit pour l’agriculture, la pêche et porter les enfants d’un agriculteur-pêcheur » à se métamorphoser : « J’ai l’impression de quitter mon corps (…) et de flotter au plafond », confesse-t-elle finalement lorsqu’elle tombe amoureusement pour Edward, qui la sollicite à chanter pour lui, tout en justifiant sa demande comme une tentative d’appréhender le folklore de l’île et la langue galloise.

Se trouver seule dans l’univers

Avec le temps, le récit d’Elizabeth O’Connor se démontre plus nuancé que ce qu’il semble être. L’Angleterre et sa politique s’infiltrent dans ce petit recoin gallois que Joan semble de plus en plus envier aux insulaires. Elle, une supportrice d’Oswald Mosley (1896-1980), l’héritier britannique du mystérieux fascisme qui ronge l’Europe à la veille de la deuxième guerre mondiale, encourage Manod à poursuivre ses études et à devenir indépendante, tout en la repoussant quand elle découvre les embrassades de celle-ci avec Edward – qui s’avère finalement être couard et faible. Les deux Anglais truquent leurs recherches et les déclarations des insulaires pour produire « le meilleur livre possible », puis disparaissent subitement un beau matin, peu de temps avant Noël. Manod reste, se transforme en cette baleine que l’on dépece, que l’on exploite jusqu’à la moelle puis dont on abandonne les restes. Seule sur son île, elle fait l’expérience réelle de ce que c’est d’être seule au monde.

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