En automne 1938, la créatrice américaine Claire McCardell est préoccupée. « Tous les fabricants du pays ont reproduit ma robe. Bien que j’ai démontré que c’est moi qui l’a conçu initialement, j’aurais dû sauvegarder le motif », se lamente-t-elle dans une lettre adressée à ses parents, surpris par ce succès inattendu. C’est pour la marque Townley Frocks où elle a rejoint neuf ans auparavant, que McCardell, alors dans la trentaine, a conçu cette pièce maîtresse – « la robe qui a bouleversé toute l’industrie », déclarera plus tard avec orgueil le fondateur de la marque, Henry Geiss.
C’est assez audacieux, surtout lorsque l’on sait qu’il est celui qui, en estimant la création sans intérêt, l’a écarté de la collection ! En août cependant, lors de la venue d’un acheteur du grand magasin new-yorkais Best & Co pour une visite à la salle d’exposition de « Townley », celui-ci a pointé du doigt la robe rouge en laine, coupée en biais, sans pinces ni épaulettes que Claire McCardell portait ce matin-là : « Et celle-ci, vous ne me l’avez pas montrée ? »
Initialement inclus en urgence dans le catalogue et vendu à 29,95 dollars chacune, c’est finalement chez Best & Co que cette robe épurée s’impose, confectionnée en laine ou en faille, un tissu de soie texturé. Dans les jours qui suivent son lancement, les médias la nomment « robe monastique », en raison de sa simplicité et de sa facilité d’usage, similaire à un vêtement religieux. Elle est complétée par une ceinture ajustable au ton de la robe, adaptée à toutes les morphologies. En octobre, le Women’s Wear Daily, une publication spécialisée, note que « des femmes de tous les âges et de toutes les tailles apprécient ce modèle ». Des concurrents tentent de copier le design et sa structure, mais c’est la dernière fois que Claire McCardell tombera dans le piège de la contrefaçon.
L’année marque le début de sa renommée. Sa carrière fut brillante, mais trop courte pour laisser une empreinte durable dans la mémoire du grand public. Cependant, 66 ans après sa mort, elle reste une figure de proue pour les connaisseurs et les amateurs de mode. « Elle est considérée comme la pionnière du sportswear américain, une tenue de loisir polyvalente pouvant être portée aussi bien au travail que pour les moments de détente », résume Valerie Steele, conservatrice du musée de la mode de l’Institut de technologie de la mode à New York.
Suite à une jeunesse passée dans le Maryland, Claire McCardell décide de s’installer sur la VIIe avenue à New York, une rue animée par de nombreux ateliers de mode. Malgré le souhait de son père, un banquier évangélique, de la voir obtenir un diplôme en économie de l’université Frederick, la ville de leur résidence, Claire McCardell est si passionnée par la mode qu’il finit par accepter de l’envoyer à la Parsons School of Design, située à New York. En 1926, elle part même à Paris pour une année à l’étranger. Pendant son séjour en France, Claire est découragée par le manque de bons cordonniers. Elle travaille en tant que modiste, et achète des prototypes de robes de Madeleine Vionnet à bas prix. Ses proches attestent qu’elle démontait les robes pour comprendre leur structure. Pour lire la suite de cet article, vous devez être abonné. Il vous reste 71.8% de cet article à découvrir.
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