Jean-Yves S., qui a maintenant 73 ans, a subi des abus sexuels de l’aumônier de son collège, Félix Hutin, à Bourg-en-Bresse entre ses 12 et 15 ans. Hutin est décédé en 2022. Le 16 mai, Jean-Yves a reçu une lettre de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), une institution mise en place par la Conférence des évêques de France pour soutenir les victimes d’abus sexuels de prêtres. La lettre affirmait que l’Église catholique le reconnaît comme victime et qu’il recevra une « réparation », comme c’est le cas pour 678 autres victimes.
Jean-Yves S. a une histoire unique. Il a lui-même été condamné pour avoir agressé sexuellement un mineur. Cependant, cela ne l’a pas empêché de recevoir une compensation financière de 60 000 euros, l’un des montants les plus élevés possibles. Cette décision soulève des questions alors qu’environ 500 demandes de victimes d’abus de prêtres n’ont pas encore été traitées par l’Inirr.
En 1963, Jean-Yves S. avait perdu son père et était inscrit au Lycée Lalande, où il a rencontré l’aumônier Félix Hutin. Comme indiqué dans un rapport consulté par Le Monde, ce prêtre a pris Jean-Yves sous sa protection, lui proposant des réunions privées hebdomadaires (« le jeudi ») pendant près de trois ans. Ces rencontres ont graduellement acquis une nature sexuelle, allant des « bisous sucrés » à des actes obscènes plus sévères, selon le récit de la victime.
Jean-Yves S. a conservé une correspondance avec son agresseur pendant plusieurs années, mais n’a déposé une plainte qu’en 2001. Bien que le délai pour une action pénale soit dépassé, cela a permis l’ouverture d’une enquête et l’obtention des aveux de Félix Hutin qui admet avoir commis des attouchements, mais nie toute accusation de viol.
L’Eglise n’a condamné l’aumônier qu’en 2014 à l’issue d’un procès interne dont les détails sont restés obscurs, l’obligeant à payer une amende de 30 000 euros à une organisation caritative pour enfants en Thaïlande.
« Tout est lié au fait que je suis une victime », déclare Jean-Yves S. En 2015, son avocat, Emmanuel Ludot, a entamé une poursuite civile contre Félix Hutin, arguant que l’agression de son client, suivi par un psychothérapeute, a des effets persistants.
Le 7 juillet 2015, le juge de proximité de Nantua (Ain) a déclaré que le père Hutin était responsable de l’état de « grande détresse » de la victime et lui a ordonné de payer une indemnité symbolique d’un euro.
Selon l’avocat de Jean-Yves S.: « Je n’avais pas demandé de compensation, l’essentiel était que la culpabilité de Félix Hutin soit reconnue par la justice, afin de pouvoir ensuite demander des comptes à l’Eglise ». En mai 2019, il obtient pour la première fois du tribunal de Bourg-en-Bresse que le diocèse divulgue le dossier du père Hutin. Le rapport de l’organisme révèle que le prêtre a été transféré en Suisse en 1974, chargé des relations entre l’ONU et le Vatican, ce qui laisse penser qu’il y a eu une tentative de le « mettre à l’abri ».
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