Suivre la profession d’avocat en Turquie peut ressembler à un engagement inébranlable, surtout à une époque où la société est envahie par un sentiment d’incapacité, voire de méfiance envers le système juridique. Pour de nouvelles recrues comme Mina Şık, âgée de 24 ans et récemment admise au barreau d’Istanbul, il y a un grand fossé entre la pratique et la théorie juridique.
« J’étais en train de finir mes études pendant les procès de Gezi, qui étaient connectés aux révoltes contre le gouvernement de 2013, et nous étions en train d’étudier le code pénal. En une semaine, on m’apprenait comment les choses devaient se dérouler et lorsque j’assistais aux auditions, je voyais le contraire ! (…) Le système de justice est probablement l’institution qui est la plus influencée par les changements politiques », estime la fille du réputé journaliste d’investigation transformé en politicien, Ahmet Şık.
Une partie de l’enfance de Mina Şık s’est déroulée dans les salles de visite des prisons où son père était détenu, accusé de « participation à une organisation terroriste ». « La loi est ouverte à une interprétation si vaste qu’elle peut être perçue dans un sens ou dans l’autre. Quand j’ai réalisé cela lors de ma première année à la faculté de droit, j’ai été déprimée », se souvient-elle. Les articles de loi peuvent prêter à une grande diversité d’interprétations.
Les institutions judiciaires sont souvent critiquées pour leur manque d’impartialité. Le parti du président Recep Tayyip Erdoğan a instauré des réformes dans les années 2010 qui sont aujourd’hui remises en question, y compris certaines décisions de la Cour constitutionnelle, contribuant ainsi à ce déclin. L’utilisation fréquente de dispositions légales à l’interprétation large, comme « insulte au président » ou « appartenance à une organisation terroriste », diminue la confiance des citoyens turcs dans les tribunaux pour rendre justice.
Jiyan Tosun, militante kurde des droits de l’homme, demande depuis trois décennies que la vérité soit révélée sur la disparition de son père, Fehmi Tosun, qui a été enlevé devant leur domicile à Istanbul en 1995. En tant que membre actif du groupe des Mères du Samedi, elle cherche à obtenir des réponses concernant les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires survenues pendant les années 90, lors des conflits dans le sud-est de la Turquie, région à majorité kurde, entre l’armée turque et le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme terroriste par le gouvernement turc.
/ »« Nous étions conscients que nous n’obtiendrions probablement jamais de réponses, car c’est un sujet extrêmement délicat. A moins que le gouvernement ne mène une introspection (…), nous resterons dans le même état », regrette Jiyan Tosun. Malgré ce pessimisme, cette dame, qui a maintenant 38 ans, a choisi de devenir avocate, tout comme l’oncle de son père avant elle. « Le jour où mon oncle a reçu son diplôme, il est immédiatement allé voir mon père pour lui promettre qu’il le défendrait. Mon père était si content ce jour-là que j’ai décidé de suivre le même chemin », se rappelle Jiyan Tosun.
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