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« Business d’enlèvements en Ethiopie : Vide Sécuritaire »

Il est bien connu parmi les voyageurs empruntant les voies de la région Oromia, environnante d’Addis-Abeba, qu’ils s’exposent à une menace potentielle d’enlèvement. Plus s’étend leur trajet sur ces grandes artères goudronnées, plus le soupçon grandit, lapression de l’observation constante et la probabilité d’une embuscade de bandits à tout moment.

Le mercredi 3 juillet, trois autobus transportant des étudiants de l’université de Debark dans le nord de l’Éthiopie, se dirigeaient vers la capitale. Ces trois bus, transportant 160 étudiants, venaient de traverser le Nil bleu. Ils avaient encore trois heures de voyage jusqu’à Addis-Abeba quand des assaillants armés ont bloqué leur chemin dans le village de Gebre Guracha. Les étudiants ont alors été contraints de quitter les bus et conduits dans une forêt jusqu’à un campement improvisé.

Les soldats de l’Armée de libération Oromo (ALO), un groupe insurgé qui affirme lutter pour l’autodétermination des plus de 40 millions d’Oromos – l’ethnie majoritaire en Ethiopie -, opèrent souvent dans cette région. Un étudiant qui a réussi à s’enfuir, interrogé par l’agence Reuters, accuse la guérilla d’être responsable de ce kidnapping massif. Cependant, l’ALO, également mise en cause par le gouvernement fédéral, nie avoir enlevé ces centaines de jeunes.

L’identification des kidnappeurs reste impossible : en raison de l’insécurité, ni les journalistes ni les organisations de défense des droits humains ne vont plus dans cette zone, qui n’est pas entièrement contrôlée par la police et l’armée. Les rebelles ou bandits exigent une rançon de 15 000 euros pour chacun des 160 étudiants. « Ceux qui ont pu payer ont été libérés », rapporte la Commission éthiopienne des droits de l’homme, qui est toutefois incapable d’estimer le nombre de captifs encore détenus.

« Les Warlords Emergents »
Dans l’année 2024, le paysage rural du massif pays s’est rempli d’armées émergentes, qui prennent des otages sans cesse. C’est un phénomène paradoxal pour l’Ethiopie, qui, de 1991 à 2018, a subi le règne strict d’un gouvernement marxiste – le Front Démocratique Révolutionnaire des Peuples Éthiopiens (FDRPE) – qui maintenait un contrôle social rigide sans zone grise.

Cependant, depuis que le Premier ministre Abiy Ahmed a pris le pouvoir en 2018, l’Ethiopie est devenue vulnérable à une multitude de conflits. La guerre du Tigré (de 2020 à 2022), suivie par les deux soulèvements actifs dans les régions Amhara et Oromia, a fragilisé la capacité du gouvernement à maintenir son autorité sur le pays. « Les kidnappings, courants dans ces deux régions, illustrent comment des conflits prolongés peuvent affaiblir l’Etat de droit et encourager les criminels », a commenté l’ambassadeur américain en Ethiopie, Ervin Masinga, sur le réseau social X après l’enlèvement de 160 étudiants.

Tsedale Lemma, la fondatrice du journal indépendant Addis Standard, perçoit le développement de ces kidnappings comme le signe d’une nouvelle « économie des seigneurs de guerre » qui profite de la situation avec une relative impunité. Selon elle, l’augmentation du nombre de gangs criminels, la prolifération des armes à feu et le vide sécuritaire laissé par une armée nationale dépassée constituent une « crise nationale de grande envergure ».

La situation a radicalement évolué en Oromia, la plus grande, la plus densément peuplée et la plus prospère des provinces de ce pays de plus de 107 millions de citoyens. En 2018, l’arrivée d’Abiy Ahmed, le premier chef d’État oromo, a marqué le commencement d’une lutte de pouvoir intense entre son Parti de la prospérité et l’ALO. A présent, les organismes locaux, les investisseurs, les groupes humanitaires et les ambassades restreignent autant que possible leurs déplacements en raison de l’instabilité croissante en Oromia.

La guérilla incessante et la perte progressive du contrôle par l’armée fédérale ont, par exemple, contraint le groupe français Meridiam à abandonner son projet de centrale géothermique évalué à 2 milliards de dollars, selon une enquête menée par le média spécialisé Africa Intelligence. Des postes de contrôle improvisés pour collecter une taxe illégale deviennent monnaie courante dans cette province agricole et minière, qui produit aussi bien des fleurs que du café. Le chantage est exercé tant par l’ALO que par des groupes mafieux non identifiés, et parfois même par des milices locales associées à l’appareil d’État.

Un investisseur étranger dans le café a admis qu’il est nécessaire de payer pour éviter des attaques contre ses camions tandis qu’un autre déclare qu’il verse 4 000 euros par mois à des criminels pour que ses véhicules puissent atteindre la capitale. Un troisième dit qu’il faut s’attendre à payer en moyenne deux taxes non officielles sur la route reliant Addis-Abeba à Djibouti, le principal port d’exportation des marchandises en Éthiopie.

Pour ceux qui refusent de coopérer, les conséquences peuvent être graves. Plus de 50 employés de la cimenterie appartenant à Aliko Dangote, un magnat nigérian basée en Oromia, ont été enlevés en février 2023 et ont été libérés après le versement d’une rançon de près de 80 000 euros. A quelque distance, à Fincha, de nombreux employés chinois travaillant pour une autre cimenterie ont subi le même sort quelques mois plus tard. En mars, dans la même région, cinq travailleurs d’une raffinerie de sucre ont été tués faute de rançon. Quelques semaines avant, quatre prêtres orthodoxes ont été également supprimés.

Rooba, un chauffeur qui a préféré garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, transportait du béton avec son camion lourd. Rooba travaillant dans un foyer de l’ALO, son employeur devait verser un impôt mensuel à cette guérilla. Cela ne l’a pas empêché d’être kidnappé par des hommes armés au début de l’année. « Je devais les accompagner dans la forêt où ils opèrent. Ils étaient étonnamment bien organisés et savaient à qui demander une rançon de 150,000 birrs [soit environ 2,400 euros] pour ma libération », a-t-il raconté lors d’un appel téléphonique, craignant d’être reconnu par ses ravisseurs.

« Je ne sais pas qui ils sont. Certains se proclament de l’ALO et prétendent combattre pour une cause juste, tandis que d’autres ont recours à la violence pour la promotion de leurs entreprises criminelles, » explique Rooba. « Nous avons peur de tout le monde, nous ne pouvons pas distinguer qui est un ami et qui est un ennemi », ajoute l’homme, arrêtant son travail par crainte d’un nouvel enlèvement.

« Un état mafieux »

Initialement, les enlèvements visaient les membres du parti pour des raisons politiques. L’activité s’est par la suite étendue aux entreprises et aux hommes d’affaires. A l’heure actuelle, elle est devenue incontrôlable, touchant chaque individu, y compris les civils, comme l’explique anonymement un collaborateur proche du gouvernement fédéral. L’insécurité est si prédominante que les gens craignent de prendre la route, même pour assister aux funérailles de leurs proches.

Son frère, qui est un propriétaire terrien en Oromia, a été détenu par des bandits pendant cinq jours. Il a été libéré suite à un paiement de 7 350 euros, une somme énorme pour une famille moyenne en Ethiopie. Selon lui, l’ALO et les bandits ciblent leurs victimes grâce à des informateurs situés dans les villes, les administrations locales et les banques.

En Oromia, l’augmentation du nombre d’acteurs armés rend les limites incertaines. Des fonctionnaires locaux collaborent avec l’ALO pour enlever des personnes, même si officiellement, ils sont en guerre les uns avec les autres, comme l’exprime un chercheur, qui préfère rester anonyme. Il en conclut : « L’Ethiopie est de plus en plus similaire à un Etat mafieux »

Selon Tsedale Lemma, cela indique simplement que le gouvernement est incapable de contrôler la violence en Oromia et Amhara. Ou peut-être tolère-t-il cette situation ? « Abiy Ahmed semble principalement se soucier d’Addis-Abeba. Selon lui, qui détient le contrôle de la capitale détient le contrôle du pays », dit-elle. Bien qu’il soit vrai qu’Addis-Abeba concentre tous les pouvoirs, y compris économique, on oublie trop vite que les renversements de régime précédents, en 1991 ou en 2018, ont tous systématiquement découlé de mouvements nés dans les régions périphériques éthiopiennes.

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