Dans la lueur sombre d’un lever de soleil gris, à 5 heures du matin, l’ancienne Saïgon commence à peine à se réveiller. La descente de l’ancienne rue Catinat se déroule doucement vers la rivière pour les rares passants. Le Théâtre municipal, un chef-d’oeuvre architectural érigé en 1900, se trouve devant un chauffeur de taxi qui dort paisiblement, la tête posée sur le repose-tête, les jambes pendantes à travers les fenêtres ouvertes. Pendant ce temps, un chien couleur moutarde avec une créature semblable à une hyène farfouille dans les poubelles, et des coureurs matinaux commencent leur jogging quotidien vers un faible soleil qui commence à éclairer l’horizon.
À l’extrémité de la rivière Saïgon, la rue donne sur une zone symbolique de l’Indochine française du début du XXe siècle. C’est ici, sur les quais d’un port autrefois florissant, que les navires en provenance de Marseille débarquaient un mélange varié de passagers: fonctionnaires, militaires, colons, aventuriers de la métropole, mais aussi des voyous des quartiers populaires et des « petits blancs » en quête de fortune. On parlait alors de l' »âge d’or » de la colonisation, des jours de bonheur impérial et des rêveries tranquilles avant que tout ne s’écroule dans le disgrâce. À partir de 1945, les convulsions d’une décolonisation brutale et humiliante préfiguraient un conflit sanglant, la guerre d’Indochine.
L’histoire d’amour entre la France et l’Indochine, comme on la décrit souvent, a connu une fin tragique. Le lien entre les Français et leur colonie lointaine d’Asie s’est dégradé en un cauchemar de violence, de sang et de boue. Il y a de cela soixante-dix ans, le 7 mai 1954, Dien Bien Phu, une forteresse française en Indochine, est tombée sous les attaques des combattants Vietminh (la ligue pour l’indépendance de tendance communiste), mourant pour l’indépendance.
Dien Bien Phu, le nom résonne comme une rafale de tirs de kalachnikov, et son écho ressemble à l’annonce sinistre de la chute inévitable du navire indochinois. Le 21 juillet, les accords de Genève ont été signés après de dures négociations entre le Président du Conseil, Pierre Mendès France, et son homologue vietminh, le futur premier ministre Pham Van Dong. Ces accords ont finalement marqué le crépuscule de la présence française en Asie.
Sevent décennies après, comment peut-on décrire l’« Indo », comme nous avions l’habitude de l’appeler auparavant? C’est complexe, étant donné que cette période de l’histoire évoque des souvenirs confus interconnectés dans un assemblage de rêveries : des rizières inondées telles des miroirs fracturés, reflétant le ciel chamboulé des moussons, des paysannes vêtues de chapeaux coniques tout en travaillant, la magnificence des paysages, siroter du « cognac-soda » sur la terrasse des cafes, des pousse-pousse conduisant des femmes élégamment habillées à leurs fêtes de jardin tropicales. En France, l’exotisme superficiel du film « Indochine » (1992) de Régis Wargnier, mettant en vedette Catherine Deneuve, a démontré que l’ « Indo » véhiculait nombre de stéréotypes.
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